Sélection officielle – hors compétition Michel Gondry et Charlie Kaufman (scénariste) ont indéniablement du talent et des lettres. Ainsi, leur Human nature est une fable contemporaine sur l’inné et l’acquis, l’homme et la bête, la civilisation et l’état sauvage, qui évoque de grands mythes fondateurs (œdipe, le Bon Sauvage…), cite de fameux théoriciens (J.-J. […]
Sélection officielle – hors compétition
Michel Gondry et Charlie Kaufman (scénariste) ont indéniablement du talent et des lettres. Ainsi, leur Human nature est une fable contemporaine sur l’inné et l’acquis, l’homme et la bête, la civilisation et l’état sauvage, qui évoque de grands mythes fondateurs (œdipe, le Bon Sauvage…), cite de fameux théoriciens (J.-J. Rousseau, Darwin…) et touille des morceaux de grands classiques du cinéma (King Kong de Schoedsack, Monkey Business de Hawks, L’Enfant sauvage de Truffaut, La Nuit du chasseur de Laughton, voire Orange mécanique de Kubrick précisons que Human nature n’arrive à la cheville d’aucun de ces films).
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Nos duettistes sont donc cultivés. Par ailleurs, ils se montrent plutôt doués dans l’art de façonner quelques scènes drolatiques, notamment celles où le sauvage, après quelques mois de dressage intensif, devient un parangon de culture et de sophistication. Le problème de Gondry et Kaufman, c’est : mettre leur savoir-faire au service de quoi ? Quel type de relation installer avec le spectateur ? Et comment transformer de bonnes bribes en un bon grand tout (car dès que l’humour baisse, le film devient très ennuyeux) ?
Le scénario de Human nature est ainsi un modèle de couardise et d’inconséquence : incapables de trancher entre nature et civilisation, les auteurs ménagent constamment la chèvre et le chou pour aboutir à un vague message mollement écolo et consensuellement humaniste. Exemple emblématique, la fin : alors qu’en toute logique, le personnage du sauvage retourne dans la forêt et que là, le générique devrait défiler, une ultime scène nous montre le type ressortir du bois, monter en voiture avec sa copine et lui dire « T’as pas des vêtements, je me les caille ». Cela résume parfaitement l’esprit du film : dès qu’un enjeu un peu fort se présente, les auteurs, comme effrayés, bottent en touche et s’en tirent par une vanne ou une pirouette second degré. Cette attitude assez cynique est celle, majoritaire, des faiseurs d’images de notre époque : en politique, elle s’appelle le centrisme, et en industrie du divertissement le « Je ne froisse personne et je désamorce tout pour rafler la plus grosse recette possible ».
Ce qui achève de rendre ce film discutable, malgré son humour et les talents qui y sont disséminés, c’est son esthétique : des images archi-maîtrisées, « déjà vues », totalement dénuées de désir et de mystère, et qui contredisent sans arrêt le discours vaguement humaniste du film. Cette esthétique carcérale de la surmaîtrise léchée et du tout visuel est celle des clips, de la publicité, de la télévision moderne et de la propagande : elle génère des images de domination (de celui qui les crée) et de pouvoir (sur celui qui les reçoit), des images 100 % saines, privées de toute fêlure, de toute maladie, de toute béance, de tout inconscient, de toute capacité de révélation.
Cela dit, je sais que mon collègue Beauvallet n’est pas d’accord avec moi et qu’il aime ce film. On en reparlera à sa sortie.
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Patricia Arquette
Elle a tout accepté pour Human nature de Michel Gondry : tourner nue, et même velue. Patricia Arquette ne répond pas totalement aux canons hollywoodiens, ne passe manifestement pas sa vie à enchaîner les régimes et la musculation : un peu d’humanité dans un monde de silicone. Et une enfant de la balle qui, de Burton à Scorsese en passant par Lynch, s’avère l’une des actrices contemporaines les plus inspirées.
Connaissiez-vous le travail de Michel Gondry avant de travailler sur Human nature ?
J’avais vu ses clips, en particulier pour Björk, et j’avais, comme tout le monde, été séduite par son inventivité visuelle. Et puis un jour, mon agent m’a appelée en m’expliquant que Michel me proposait de tourner dans le prochain clip des Rolling Stones. Sur le tournage, j’ai été un peu plus téméraire que d’habitude et je lui ai expliqué que je rêvais de tourner un long métrage avec lui. On a eu plusieurs autres projets avant de s’emballer sur Human nature.
Vous mettez en avant son inventivité visuelle.
Sa façon de regarder le monde n’appartient qu’à lui. Quoi qu’il se passe, il se comporte en alchimiste et réussit à tout fondre dans sa vision si personnelle. C’est excitant de travailler avec un cinéaste qui a si bien intégré les nouvelles technologies dans sa mise en scène.
Vous n’avez pas eu peur en découvrant le personnage de Lila ?
Jouer une fille tellement velue qu’elle dégoûte les mecs : au départ, je n’étais pas sûre ! Et puis, j’ai essayé de voir plus loin, de capter l’aspect métaphorique de cette histoire et là, ça devient passionnant. Parce que cette fille a tellement besoin d’amour qu’elle renonce à une partie d’elle-même. Et j’ai si souvent observé ça dans les vies de femmes autour de moi, à commencer par ma mère qui s’est sacrifiée pour son mari, pour ses enfants… Maintenant que je suis une trentenaire, voilà le genre de questions qui me passionnent, et c’est bien de pouvoir les approfondir à travers un personnage.
Est-ce qu’en travaillant avec un metteur en scène débutant tel que Michel, vous avez réalisé à quel point vous étiez une actrice expérimentée ?
La seule chose que je puisse dire sur ma maturité d’actrice, c’est qu’avec le temps, j’ai appris à être moins accommodante. De plus en plus, j’ose dire au metteur en scène que j’aimerais bien refaire une prise. Avant, je n’osais pas : s’il était content, j’étais contente.
En travaillant avec un metteur en scène de votre âge, est-ce que vous avez eu l’impression de faire un film générationnel ?
Oui, et je mettrais surtout en avant l’audace de Michel. Par exemple, j’ai toujours eu du mal avec les remises de prix genre Oscar : pour pouvoir comparer des acteurs, il faudrait leur faire jouer le même rôle avec le même metteur en scène et encore… Mais en revanche, ce qu’on peut récompenser, c’est l’audace. Je suis résolument de ceux qui pensent qu’il y a encore des tas de choses à inventer dans le cinéma : il faut oser. C’est dans cette optique que l’idée de génération est excitante : faire partie d’une génération qui invente un nouveau cinéma, sans un respect trop sacré pour l’histoire du cinéma.
Vous avez travaillé avec trois des metteurs en scène américains contemporains les plus talentueux : Tim Burton, David Lynch et Martin Scorsese. Qu’avez-vous appris avec chacun d’eux ?
Tim Burton a son propre style : il suffit de voir une image d’un de ses films pour reconnaître que c’est du Burton. Etre sur son plateau, pour moi, c’est comme si j’avais été là quand Breton et Dalí inventaient le surréalisme, avec le sentiment de créer quelque chose d’inédit. Ce que j’ai appris de lui ? Qu’il faut avoir le courage de défendre sa vision. Scorsese, c’est formidable pour un acteur puisqu’il ne cesse de répéter que la direction d’acteurs est ce qu’il préfère dans le cinéma. Du coup, il est très à l’écoute, il vous donne du confort. Je me souviens que pour une scène difficile, lui était content, mais moi je pensais pouvoir aller plus loin, et il m’a dit : « Patricia, on a toute la journée si tu veux. Tu peux aller dans ta chambre et revenir dans trois heures. J’attendrai que tu te sentes prête. » Sentir qu’on est aussi respectée, c’est royal. Et enfin, Lynch, j’en reviens à ce que je disais au début : il fait partie des rares qui essaient d’investir de nouveaux territoires. Dans dix ans, il sera mieux compris. Il est toujours en alerte : je me souviens d’une fois où le chef-op a dit : « David, on ne va pas tirer cette prise parce que Patricia est passée trop près de la caméra et on a perdu le point. » David l’a regardé et a dit : « Non, non, il faut la tirer : le public doit perdre l’habitude du point ! » Vous pouvez être sûr que 80 % des cinéastes hollywoodiens auraient dit « OK, on la refait ». Il ne cherche pas la perfection, ce qui est à mon avis la meilleure façon de la trouver.
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