Sélection officielle. Imamura, c’est un peu le Brésil du Festival de Cannes. Après deux Palmes d’or (La Ballade de Narayama en 1983 et la sublime Anguille en 1997), après un film qui avait le niveau d’une Palme (Docteur Sensei en 1999), le revoilà, à plus de 70 balais, venu remettre ça avec encore un des […]
Sélection officielle.
Imamura, c’est un peu le Brésil du Festival de Cannes. Après deux Palmes d’or (La Ballade de Narayama en 1983 et la sublime Anguille en 1997), après un film qui avait le niveau d’une Palme (Docteur Sensei en 1999), le revoilà, à plus de 70 balais, venu remettre ça avec encore un des très beaux films de la quinzaine, et sans conteste le meilleur japonais de la sélection officielle. L’enchantement commence ici dès le titre : De l’eau tiède sous un pont rouge ! A-t-on déjà entendu blason de film plus poétique, plus mystérieux ? Allez hop, Palme d’or du titre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le film lui-même n’est pas mal non plus. Il commence banalement : un salaryman perd son emploi. Filmée à travers la vitre d’un anonyme et rutilant building moderne, la scène du licenciement est magnifique de sécheresse brutale, d’épure de mise en scène, et dans sa dénonciation purement cinématographique de la suave barbarie de notre civilisation moderne. L’homme est également en instance de divorce avec sa femme qui lui réclame avec insistance l’argent de la pension alimentaire.
Comment se sortir d’une telle débine ? Par la fiction, l’aventure, pardi ! Une connaissance du salaryman, vieux clochard philosophe (et probable projection d’Imamura lui- même), le met sur la piste d’un trésor, enfoui dans une maison située dans un lointain village côtier, tout près d’un pont rouge.
A partir du moment où le personnage débarque dans le village, Imamura entreprend son habituelle chronique anthropologique d’une communauté, avec tous ses habitants plus ou moins excentriques : des pêcheurs à la ligne beckettiens et comiques, un étudiant africain qui s’entraîne pour le marathon (apparitions récurrentes hautement burlesques), un jeune pêcheur en haute mer raciste et brutal… Le visiteur fait surtout la connaissance des occupantes de la maison au trésor, une jolie et mystérieuse jeune femme et sa mutique grand-mère. Assez vite, notre héros est entrepris par la jeune femme qui est touchée par une étrange particularité : quand elle jouit, son corps se vide de plusieurs litres d’eau tiède. Une femme geyser, qui est aussi femme-piège, femme-matrice, femme-déesse, bref, une sorte de divinité prosaïque. Plus tard, on apprendra que toute cette eau emmagasinée est le trop-plein d’un trauma ancien, peut-être le trauma du Japon de l’après-guerre tout entier, et qui s’accumule dans le corps de la femme faute d’avoir été nommé ou dit. Avec malice, Imamura remplace la psychanalyse par le sexe et la jouissance, seuls à même de guérir l’héroïne. « L’important, c’est de bander », telle est sa roborative devise.
Malgré cette femme-fontaine étrange et se prêtant aux multiples métaphores, ce film est tout sauf allégorique et pompeusement symbolique. La raison en est la mise en scène d’Imamura, cinéaste classique dans la veine des Ford ou Renoir. Les plans sont simples, justes, d’une beauté frappée du sceau de l’évidence et jamais ostentatoire, le montage est fluide, ce qui n’est que logique pour une histoire d’eau tiède. Les scènes où Imamura montre la femme « éjaculer » ses eaux, puis le cheminement de cette eau dans les jardins, les rigoles et jusque dans la rivière, fertilisant tout sur son passage, sont les plus belles et mystérieuses du film : cette eau tiède est un liquide de vie, une humeur séminale.
A la fin, le visiteur aura trouvé mieux qu’un trésor : sa vie reconstruite, loin du tumulte urbain et des leurres de nos existences modernes. De l’eau tiède sous un pont rouge aurait pu être raccourci sans dommages d’une vingtaine de minutes : ce sera la seule réserve que l’on formulera sur cette fable goguenarde et malicieuse, sur ce film limpide qui semble détenir le secret de la vie et du cinéma perdu.
{"type":"Banniere-Basse"}