En Roumanie, en 1999, un peloton de soldats américains de l’Otan partis en train mener une mission secrète au Kosovo se trouve bloqué par la seule volonté du chef de gare, petit dictateur mafieux local, dans un bled paumé de Transylvanie… Commençons par un paradoxe : California Dreamin’ est un film plein de défauts et […]
En Roumanie, en 1999, un peloton de soldats américains de l’Otan partis en train mener une mission secrète au Kosovo se trouve bloqué par la seule volonté du chef de gare, petit dictateur mafieux local, dans un bled paumé de Transylvanie… Commençons par un paradoxe : California Dreamin’ est un film plein de défauts et c’est en cela que c’est un bon film. Entendons-nous bien : il faut entendre par “défauts” tout ce qui aujourd’hui est considéré au cinéma comme une faute de goût rédhibitoire. California Dreamin’ est donc filmé peu ou prou n’importe comment, avec les pieds, le filmage passant abruptement d’une caméra à l’épaule très brinquebalante qui s’acharne à vouloir filmer les pores de la peau des acteurs à quelques subits et inattendus plan généraux fixes, sans qu’on puisse jamais trouver une cohérence à ce choix foireux. Rien d’affriolant, et c’est tout juste si l’histoire est crédible (on a quand même un peu de mal à croire que des soldats américains puissent accepter sans broncher de se laisser mener par le bout du nez…).
La psychologie des personnages est assez sommaire, leurs motivations assez ridicules (on comprend, à l’aide de flash-backs un peu inutiles quoique souvent efficaces – l’obus qui dévale un escalier en colimaçon – que ledit chef de gare, dont la famille, depuis la Seconde Guerre, a été victime des régimes politiques successifs roumains, en veut aux Américains d’arriver si tard…), et le message politique lui-même – le film montre que les Américains foutent la merde partout où ils passent – pas très léger-léger.
Deux heures et demie pour en arriver là, on pourrait légitimement trouver ça trop long – le film souffre à l’évidence de problèmes de montage, sans doute dus en partie au fait que son réalisateur Cristian Nemescu, victime d’un accident de voiture, est mort avant même l’achèvement de la post-production, et que c’est son monteur Catalin Cristutiu qui l’a terminé. Alors pourquoi tartiner deux pages sur ce film nul ? Parce qu’il s’agit d’un film roumain et que ce cinéma est à la mode ? Non, bien sûr (il nous arrive également de vous signaler quelques films roumains très mauvais). Parce que California Dreamin’, malgré tous ses défauts, possède une chose finalement assez rare dans le cinéma : de l’énergie à revendre, parfois brouillonne, mais une énergie et une joie de faire du cinoche, de raconter des histoires qui se révèle très communicative. Pascale Ferran, présidente du jury Un certain regard, qui lui a remis le prix de cette sélection à Cannes en mai dernier, ne s’y est pas trompée le jour de la remise : “Le film est, à nos yeux, et de loin, la proposition de cinéma la plus puissante, la plus vivante, la plus libre qu’il nous ait été donnée à voir ces dix derniers jours.” Si le jury a décidé de récompenser ce film, c’est “pour l’extraordinaire confiance du cinéaste dans la capacité du cinéma à raconter toutes les histoires du monde ; pour l’ampleur de son propos et de sa mise en scène (et) pour l’incroyable talent de ses très nombreux interprètes”.
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Et c’est bien de cela qu’il s’agit : Cristian Nemescu ne prend pas de gants, fonce dans le tas, la tête la première, sans chichis, sans faire mine d’avoir peur de se planter. Nous sommes bien loin d’un certain jeune cinéma – qu’on trouve dans tous les pays du monde – qui se complaît non pas tellement dans le narcissisme comme on l’entend trop souvent dire, mais dans la recherche du bel objet, dans de fausses innovations, dans un surmoi cinéphilique mal digéré, dans une profonde inhibition, dans un surcroît de finesse et de finasserie.
Ici, rien de tel : Nemescu n’a peur de rien, pas même du mauvais goût, du sentimentalisme, de la sensualité adolescente, de l’outrance. Abondance ne nuit pas. Cela pourrait évidemment donner le pire, mais le spectateur va bien au contraire de surprise en surprise. Car cette accumulation zinzin de carpes et de lapins aboutit à un mélange des genres régalant, à des ruptures de ton tout à fait succulentes, à des images hallucinantes (comme ce moment surréaliste où une reproduction géante de la tour Eiffel apparaît en plein milieu de la campagne roumaine). On passe ainsi sans cesse du film de guerre à la farce, du film d’amours adolescentes au drame, du psychodrame familial au film politique en passant par le docucu folklorique, sans transition. On rit (je vous conseille tout particulièrement la scène où, pour honorer ses “hôtes” américains, le maire du village organise une grande fête où, accompagné d’un orchestre tzigane kusturicien, un sosie d’Elvis Presley entonne soudain Love Me Tender…), on pleure, on s’étonne, on bâille aussi parfois (oui, c’est vrai), mais l’emballement romanesque et le délire que constitue au final l’ensemble de l’édifice emportent tout sur leur passage. California Dreamin’ est un film foufou, foutraque, mal fagoté, mais un pur moment de rock’n’roll.
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