[Ed Banger rédac chef] Surfeur, rockeur, junkie… La vie brève et flamboyante de Bunker Spreckels, riche héritier mort en 1977 à l’âge de 27 ans. Inédit en France, un documentaire sur une figure mythique du monde du surf.
Connaissez-vous Bunker Spreckels ? Durant sa brève existence (1949-1977), Spreckels fut héritier, surfeur, play-boy, jet-setteur, dandy, branleur, junkie, rockeur… Un inconnu chez nous, un mythe dans la communauté internationale du surf.
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Le réalisateur Takuji Masuda lui a consacré un beau documentaire (inédit en France), qui rend justice à un personnage charismatique et à son époque intensément hédoniste. “J’étais surfeur professionnel dans la catégorie classique des longboards, raconte le réalisateur américano-japonais. En parlant avec les anciens surfeurs légendaires, le nom de Bunker Spreckels revenait sans cesse.”
Bunker était programmé pour gouverner un jour l’empire Spreckels
Adolph “Bunker” Spreckels est né dans de beaux draps, ceux de la dynastie Spreckels, magnats du sucre. Destiné à hériter de sa part de la fortune familiale à 21 ans, Bunker était programmé pour gouverner un jour l’empire Spreckels, mais la vie est parfois plus inventive que les plans échafaudés par les pères. La mère de Bunker se remarie avec Clark Gable alors qu’il est encore tout gamin. Le petit Bunker, blondinet iconique, grandit ainsi dans un univers de luxe, de glamour hollywoodien et de célébrité people.
Vers l’âge de 16 ans, il découvre le surf lors de vacances à Hawaï et s’entiche de ce sport qui est aussi une culture. Il est l’un des rares Blancs formés par les maîtres hawaïens et s’avère plutôt doué. Sur une session photo de l’époque, Bunker Spreckels apparaît tel un jeune demi-dieu marin, visage d’angelot, yeux bleus translucides, chevelure d’une blondeur irradiante et coupe Byrds/Beatles, corps mince, sec, muscléet bronzé, sorte de croisement entre le Tadzio de Mort à Venise et un Kurt Cobain en bonne santé.
A 21 ans, il devient majeur et touche son héritage, mais la famille Spreckels doit chercher ailleurs son futur pdg. Aux affaires, Bunker préfère le soleil, l’océan, les filles, la fête et les drogues diverses. Il collectionne les conquêtes féminines, mène l’existence d’une rock-star. Découvrant l’univers de la blaxploitation et la figure du pimp, il en adopte le style frimeur flamboyant : manteaux de fourrure, lunettes de soleil même la nuit, limousines et filles-objets à gogo.
L’angelot blond a désormais les cheveux longs
“Bunker est mythique parce qu’il portait en lui un esprit particulier. Aujourd’hui, la culture surf mainstream est très suburbaine, commerciale et lisse. Spreckels était le contraire : urbain, libre, rebelle”, explique Masuda. Au gré de ses envies hédonistes, Bunker séjourne une année en Afrique du Sud et y développe une école de surf où se mélangent Blancs et Noirs, en plein apartheid.
Le problème de Bunker, enfant pourri gâté depuis le plus jeune âge, c’est qu’il se lasse assez vite de tout. L’angelot blond a désormais les cheveux longs, il porte des rouflaquettes, il s’est empâté tout en restant assez beau et charismatique, arborant le cool hippie-chic californien trentenaire, mélange entre un Beach Boy vieillissant et l’Elvis du début seventies pas encore obèse.
Bunker tente de former un groupe de rock, qui n’ira pas bien loin, s’associe brièvement avec le prince du cinéma expérimental Kenneth Anger, qui envisage de lui confier un rôle dans Lucifer Rising. Autant de tentatives inabouties d’exister et de survivre à son éphémère gloire surf. Le 7 janvier 1977, sept mois avant Elvis, Bunker Spreckels est retrouvé mort chez lui, à Hawaï. Il avait l’âge peu canonique de 27 ans.
“Les tenants du shortboard sont l’équivalent des punks dans le surf”
Que penser de cette trajectoire météorique ? Adolph “Bunker” Spreckels fut un surfeur qui ne gagna jamais une compétition, un rockeur qui ne fit pas de disques, un acteur qui ne fit pas de films… Mais il le fit toujours avec style et panache, en homme libre refusant son destin tracé d’héritier du grand capital.
C’est ainsi qu’il est devenu une figure mythique dans la communauté du surf, à laquelle il a quand même laissé un legs durable : celui des shortboards. “Le shortboard est lié à l’apparition du LSD et à l’introduction de la philosophie orientale dans le surf, explique Masuda, comme dans le rock. Avec les shortboards vient la recherche des vagues les plus grandes et dangereuses, une quête liée à la nature et à la mort. Les tenants du shortboard sont l’équivalent des punks dans le surf.”
Pour le réalisateur, l’histoire de Bunker Spreckels est une tragédie parce qu’il est mort jeune, tué par la pression de se mesurer à son beau-père, Clark Gable. Mais c’est aussi une aventure de la liberté parce que Bunker a au moins essayé de vivre à sa manière.
“Il est mort trop jeune mais il a vécu à fond, conclut Masuda. Quelque part, il était un précurseur de Paris Hilton ou Kim Kardashian, sauf qu’il n’avait pas les réseaux sociaux. Il se voyait comme l’égal de Mick Jagger, Jimmy Page ou David Bowie, mais malheureusement pour lui, le reste du monde ne le voyait pas ainsi !”
Bunker77 de Takuji Masuda (E.-U., 2016, 1 h 26)
Le choix de Pedro Winter
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