D’abord hommage de fan transi, le nouveau Wenders devient plus personnel en affrontant ses personnages fantomatiques. Sortie Depuis une dizaine d’années, écouter Wim Wenders, et s’en contenter. Musarder au gré de sa discothèque, y faire des (re)découvertes, louer son goût et ainsi entretenir la connivence indéfectible, le lien par l’ouïe. Et s’efforcer de tamiser le […]
D’abord hommage de fan transi, le nouveau Wenders devient plus personnel en affrontant ses personnages fantomatiques.
Sortie Depuis une dizaine d’années, écouter Wim Wenders, et s’en contenter. Musarder au gré de sa discothèque, y faire des (re)découvertes, louer son goût et ainsi entretenir la connivence indéfectible, le lien par l’ouïe. Et s’efforcer de tamiser le regard, cligner pour glaner une idée, deux, trois plans. Avec Buena Vista Social Club, un disque préexiste au film, on est bien avancé. Pour ne pas rester à la maison, une parade toute trouvée : jouer aux chaises musicales et aller voir le nouveau Ry Cooder. Discret et peu disert à l’image, le guitariste, qui réunit en 1996 les Super Abuelos de la Havane pour enregistrer l’album du Buena Vista Social Club, n’en est pas moins le grand ordonnateur du film, metteur en son et, dans l’ombre, metteur en scène. Bon, et Wenders dans tout ça ? Il brille par une quasi-absence, là réside la bonne nouvelle.
Accompagnant Cooder de retour à Cuba pour produire Ibrahim Ferrer, Wenders semble d’abord déployer un filmage laid back, avec une humilité plutôt réjouissante, loin des dérapages oiseux ou du détournement de vieillards redoutés. Face à lui, Compay Segundo, 92 ans, le Manoel de Oliveira du son, Rubén Gonzáles ou Ibrahim Ferrer. Le retrait adopté par Wenders confine parfois à l’impersonnel, tout comme le dispositif un peu trop systématique de la passerelle sonore qui relie les séances de répétitions aux extraits de concert. Alors, un documentaire de bonne facture, mais sans aucun effet de signature ? Pas si sûr. Imperceptiblement, le film glisse. Parti filmer des musiciens, Wenders croit voir des fantômes venir à sa rencontre et, en un accord de slide guitar, se prend en pleine face le premier plan de Paris, Texas, sa plus belle histoire de revenants. La résurrection des soneros, ce nid de phénix cubains, signe l’accomplissement de Ry Cooder. Wenders s’est maintes fois efforcé d’être le maître d’oeuvre d’un tel retour. Avec Fuller et Ray, tentatives magnifiques mais aboutissant à l’échec puis au deuil, ou plus récemment avec Antonioni, qu’il eut la vaine prétention d’embaumer. Or, Cooder s’illustre là même où l’Allemand a failli. Ces papys rigolards qui à chaque note conjurent leur statut de mortels ne cessent de renvoyer Wenders et sa dernière décennie de cinéma moribond à ses propres spectres. Sous le ciel de la Havane qu’il filme tel un linceul, le cinéaste est comme pétrifié, redoute ces musiciens, tourne autour mais est incapable de leur tendre la main. Malaise.
Quelques mois plus tard, à New York, où le BVSC doit donner un ultime concert, le regard de Wenders accroche enfin. Filant, complice, le septuagénaire Ibrahim Ferrer sur les lieux du testamentaire Lightning over water, il ne craint plus les fantômes et reconvoque, avec nettement plus de sérénité qu’à Cuba, la figure de Nicholas Ray. Comme si, après une incubation douloureuse, la transfusion avait enfin eu lieu et qu’un vieux Cubain un peu sorcier effaçait ses affres pour lui accorder une nouvelle virginité. Qui nous fait à nouveau espérer de Wim Wenders. Il était temps.
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