Affûté et ambitieux, le premier film de Vincent Le Port sonde, comme un faisceau d’indices concordants, les lignes de vie d’un meurtrier à peine sorti de l’enfance.
“En somme, vous ne voulez être jugé ni comme un fou ni comme un criminel”, résume au début du film le professeur Alexandre Lacassagne à Bruno Reidal, joué par Dimitri Doré, révélation de ce premier long métrage.
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Adapté d’un fait divers qui s’est déroulé dans une campagne cantalienne du début du XXe siècle tout droit sortie d’un tableau de Gustave Courbet, le film ne fait aucun suspense de la culpabilité de Bruno. Son ambition est d’établir la généalogie du meurtre commis par ce jeune homme de 17 ans. On l’a vu quelques minutes plus tôt – enfin non, on ne l’a pas vu directement, mais on en a observé la jouissance sur le visage de Bruno, éclaboussé du sang jaillissant de la gorge du garçon de 12 ans qu’il décapite au couteau.
“Tout raconter”
Ce parti pris de mise en scène pose la profession de foi du film, à savoir qu’il sera affaire de point de vue. Le contrechamp de cette séquence sera d’ailleurs représenté à la toute fin du film, une fois qu’auront été sondées l’ensemble des couches qui sédimentent ce passage à l’acte. La quête de complexité de Bruno Reidal débute dans l’instant qui suit le meurtre. Le sang a à peine eu le temps de sécher sur ses vêtements que le jeune homme est pris de remords et court se livrer aux autorités.
Il est à présent face à trois spécialistes chargés de juger s’il est responsable ou non de ses actes. Pour ce faire, et en plus d’entretiens à mi-chemin entre le procès intimiste et la séance d’analyse, Lacassagne lui demande d’écrire ses mémoires, de “tout raconter”, un peu à l’image de l’agent Holden Ford lorsqu’il visite les serial killers dans la série Mindhunter.
Ce texte, que Vincent Le Port a retrouvé dans les archives de l’affaire, est la colonne vertébrale d’un film qui navigue entre le présent des entretiens avec les juges et le récit de la vie de Bruno – de sa naissance dans une famille paysanne sans le sou jusqu’à son incarcération, en passant par son brillant parcours scolaire. Aussi glaçantes que sublimes, les souffrances du jeune Reidal témoignent de la terrifiante lucidité qu’a le meurtrier sur sa condition. C’est qu’il est tourmenté par des envies de meurtre depuis l’âge de 6 ans. “Quoi que je fasse, les scènes de meurtre sont pour moi pleines de charme”, confesse-t-il après avoir tenté d’y résister aussi longtemps que possible.
Un grand film d’exploration
Derrière son énoncé en apparence soustractif (“ni fou ni criminel”), Bruno Reidal est plutôt une multiplication au carré. La prouesse du film tient dans sa capacité à représenter ce tout exigé par Lacassagne, sans jamais rien céder à la simplification, à la psychologie de bas étage ou aux raccourcis. Tout en ne retranchant pas le caractère impénétrable de ces pulsions, il examine les facteurs qui les ont favorisées. Il y a d’abord l’environnement familial : septième de sa fratrie, Bruno n’a eu droit qu’à de piètres restes d’affection de ses parents, alcooliques et violents.
Son extrême sensibilité le confronte de plein fouet à la rudesse de la vie paysanne. À 10 ans, il a été agressé sexuellement. Et son rapport à la sexualité n’a pas été arrangé par les interdits de la religion catholique. Si l’étude au séminaire lui apporte une brève rédemption, son sadisme y trouve sa cible : ses camarades beaux, nobles, fiers et aisés, avec lesquels lui, le pauvre paysan timide, chétif et voûté, entretient un rapport amour/haine.
Une maturité de regard hallucinante pour un premier film.
Cette violence de classe s’ajoute à une série de processus d’exclusion ressentis par Bruno mais que ni lui ni le film ne brandissent comme justification à son acte. On pense alors à une phrase tirée des écrits théoriques de Lacassagne, père fondateur de l’anthropologie criminelle, qui argue que le meurtrier est tel un microbe, “un élément qui n’a d’importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter”. Avec une maturité de regard hallucinante pour un premier film et bien aidé par la performance de l’impressionnant Dimitri Doré, Vincent Le Port raconte l’histoire de cette fermentation.
À la question, très actuelle, de savoir comment le cinéma peut rendre compte de la déviance, il répond avec un long métrage qui n’explique rien mais qui explore tout, avec une justesse constante. Bruno Reidal est un grand film d’exploration.
Bruno Reidal de Vincent Le Port, avec Dimitri Doré, Jean-Luc Vincent, Roman Villedieu (Fr., 2021, 1 h 41). En salle le 23 mars.
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