En pensant à la veine comique de son cinéma, on s’attend à rencontrer un dandy détaché à la Edouard Baer, portant l’ironie en sautoir. Mais Bruno Podalydès est plutôt du genre rêveur mélancolique, plus disert sur les frères Coen ou les mathématiques que sur son propre film, le délicieux Comme un avion, qui aurait pu (du) faire le bonheur de n’importe quelle sélection cannoise. Bienvenue dans un dialogue aussi planant qu’un kayak.
Votre personnage, Michel, la cinquantaine, se met au kayak. Pourquoi le kayak ?
Bruno Podalydès – Le mot « kayak » m’avait plu, il y a longtemps, sans avoir d’ailleurs conscience que c’était un palindrome. Je m’étais mis au kayak à 20 ans pour suivre une fille dont j’étais amoureux, et puis pendant le stage, j’ai failli me noyer. Bref, cette histoire fut un naufrage. Je suis parti de cet objet très spécial pour imaginer mon film. Je voyais un kayak volant quelques mètres au-dessus de l’eau, un peu comme un aéroglisseur, ou un tapis volant. Un tour de magie, un truc de lévitation… J’imaginais aussi ce kayak comme un truc encombrant, que Michel cache. Je voyais le kayak planqué dans un placard, comme dans un vaudeville. Je n’ai finalement pas filmé ces scènes, mais on peut dire que Michel trompe sa femme avec le kayak (rires)…
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Le kayak, c’est un retour dans l’utérus maternel ?
On peut partir sur tous les délires interprétatifs, toutes les symboliques. Mon frère, Denis, y a vu des symboles partout ! C’est vrai qu’à la différence d’un canoé, le kayak est fermé, protège son occupant. On s’y love comme dans une gangue, on est jupé. La forme du kayak permet d’y lire ce qu’on veut.
Michel est également passionné par l’aéropostale, autre marotte hyper spécialisée et peu contemporaine…
L’aéropostale m’a fait vraiment fait rêver quand j’étais gamin, au même titre que le western. C’était un terrain d’aventure. J’ai lu les bouquins de Saint-Exupéry, Kessel, Mermoz… Ce qui me fascinait, c’était l’idée d’un homme seul, trois mètres au-dessus de l’eau, cherchant à atteindre l’Amérique… Planer au-dessus des dangers, mais pas très haut, être seul plusieurs heures dans la nuit avec pour seul compagnon le ronronnement du moteur… J’aime beaucoup le film de Billy Wilder avec James Stewart (L’Odyssée de Lindberg), pas évident de tenir un film de deux heures avec un type seul en avion. Ces figures me hantaient… Petits, avec Denis, on fabriquait des radeaux en bois dans le jardin et j’imaginais déjà que ces radeaux étaient des avions. Donc le saut kayak-avion n’est pas si saugrenu à mes yeux.
Le principe de Comme un avion, c’est traiter de la dépression de la cinquantaine par les obsessions de l’enfance ?
Oui. Je n’aime pas trop pointer les aspects sombres du film mais il est vrai qu’il peut faire penser à une rivière qui serpente sur des racines très noires.
Chez Hitchcock, Michel finirait par assassiner sa femme, chez toi, il part en kayak ?
Oui… C’est vrai que Sandrine (Kiberlain) a une dimension hitchcockienne. Le personnage est gracieux, elle accepte les lubies de Michel parce qu’elle l’aime, quand bien même ses obsessions lui semblent étranges. Quand Michel met la panoplie du kayakiste, elle pourrait éclater de rire. Elle se retient sans doute un peu mais elle reste encourageante.
On retrouve dans le film ceux de ta bande (Denis, Vuillermoz, Blutch…) et des nouvelles venues comme Sandrine ou Agnès Jaoui.
Oui, j’essaye de panacher comme ça à chaque film. Dans Adieu Berthe, il y avait Valérie Lemercier, dans Le Parfum de la dame en noir, Zabou, etc. J’aime bien renouveler un peu mon univers, même si au départ, je choisis des acteurs ou actrices qui ne m’y semblent pas étrangers. Agnès, tout me rapprochait d’elle, à travers ses films ou ce que je connaissais d’elle par l’intermédiaire d’Alain Resnais. Sandrine, pareil, je l’aime beaucoup comme actrice mais je trouve aussi qu’elle a un humour extraordinaire.
Tu as découvert Vimala Pons dans La Fille du 14 juillet ?
Ah non, pas du tout, on se connait depuis un bout de temps. Je l’ai fait jouer Euridyce dans la pièce filmée incluse dans Vous n’avez encore rien vu de Resnais. Elle avait aussi un petit rôle dans Adieu Berthe. On s’était connus sur un court-métrage dans lequel on jouait tous les deux.
Il y a dans ton cinéma un équilibre entre la maîtrise et le lâcher-prise, comme entre un pôle Resnais et un pôle Rozier ou Renoir. Es-tu d’accord avec cette idée ?
Ce sont de belles références… J’essaye toujours de préparer mes films soigneusement tout en veillant à ne pas figer les choses, en essayant de gommer ce qui parait trop prévu. Il est important pour moi que le spectateur n’anticipe pas le film, qu’il ne sache pas trop à l’avance où le film va. Rien de plus ennuyeux qu’un film qui semble dérouler un programme.
On sent que tes films sont très écrits, pensés en amont, mais ont sent aussi une disponibilité aux lieux, aux acteurs, aux imprévus d’un tournage…
Ce qui me différencie d’Alain Resnais, c’est l’accommodement avec le hasard. Alain n’aimait pas trop le hasard, si ce n’est en tant qu’idée. Il faisait fondamentalement un cinéma de studio où on se protège du monde et où on met en pratique ce qu’on a pensé. Comme je ne possède pas le génie conceptuel et formel de Resnais, je m’en remets plus facilement au hasard, parce que je sais aussi que j’en tirerais quelque chose. J’ai confiance dans les contraintes ou les accidents de tournage, je sais qu’ils peuvent nourrir un film. Le nombre de fois où je me suis dit « heureusement que j’ai eu cette galère ! » (rires)… Quand je tourne, j’essaie d’interpréter ce qui m’arrive plutôt que d’interpréter un texte. Comme avec l’aikido, j’essaie de retourner l’énergie négative en quelque chose de positif.
Tu joues dans tous tes films et tu es généralement très bon comédien. Pourquoi ne te voit-on pas jouer dans les films d’autrui ?
D’abord, on ne me propose pas tant de rôles, et puis je n’ai pas spécialement envie de jouer dans d’autres films. Je me vis comme réalisateur, pas comme acteur. Jouer dans mes films, c’est une liberté que je me donne. Comme acteur, je suis plutôt anxieux, alors quand le texte n’est pas de moi, que je ne gère pas la prise ni le montage, mon anxiété se décuple. Sur mes films, je contrôle tout, c’est ce qui me détend.
Qui sont les cinéastes contemporains que tu aimes ?
Là, je suis très impatient de découvrir le nouveau Moretti, cinéaste dont je reste très admiratif. Je suis toujours un spectateur de films assidu, je vois beaucoup de films, pas toujours en salle hélas. J’ai du mal à classer les films en fonction des nationalités. Quand les médias ont poussé leur cocorico à l’issu de Cannes, j’étais étonné, je croyais qu’on parlait de résultats aux JO.
Aimes-tu Tarantino ?
Pas vraiment. J’aime bien Jackie Brown, parce qu’il est habité par des personnages qui ont de l’épaisseur. Je ne suis pas très à l’aise avec cette notion de pastiche permanent, qui est certes très amusant et habilement fait, mais qui me semble court. Les films de Tarantino me renseignent sur les films qu’il aime et c’est tout. Je n’y trouve pas mon compte en termes de création, de novation. En revanche, j’adore les frères Coen. Je vois très bien ce qu’on peut leur reprocher, leur virtuosité, leur perfectionnisme, mais bon, c’est tellement brillant. Et puis on peut revoir plusieurs fois leurs films et y découvrir des strates à chaque fois, c’est d’une très grande profondeur derrière la surface brillante. Inside Llewyn Davis est extraordinaire, on ne sait jamais si le film est sérieux ou comique, comme dans la première scène où Llewyn chante cette ballade folk, c’est à la fois complaisant dans le malheur et très beau, on peut aussi bien pouffer de rire que trouver cela bouleversant. Les Coen jouent merveilleusement avec les codes du cinéma et les attentes du spectateur. Par exemple, quand Llewyn passe son audition à Chicago, la chanson est belle, il y a de lents travellings avant sur les visages, on se dit que le type qui l’écoute va enfin l’aider à signer un contrat et… en fait, pas du tout ! C’est terrible. Sans paraitre prétentieux, j’ai tenté un truc du même genre dans Comme un avion, quand Michel est scotché à ces recherches sur le kayak et qu’il est interrompu par le tchat de la fille d’à côté. C’est le même principe que chez les Coen : faire monter une tension, et paf ! Tout dégonfler.
Si on te dit que ton cinéma vient du meilleur du cinéma français, de Renoir, Rozier, Tati, Truffaut ou Resnais, ça te fait plaisir ou ça t’encombre ?
Je ne peux pas prétendre faire aussi bien qu’eux mais je peux dire que je viens de là, et notamment de Truffaut. Ses films, mais aussi ses textes critiques. Les films de ma vie était l’un de mes livres de chevet. Truffaut, Renoir, c’est fondamental pour moi.
D’où vient dans tes films cette fascination pour les objets, pour le « matos » comme dit Michel ?
Peut-être des maquettes d’avions que je réalisais petit. Ce n’est pas qu’une fascination. Les objets nous dominent, voire nous oppressent. Cela peut revêtir une dimension burlesque. Faire des maquettes, cela dénote d’un rapport au temps, il faut être patient.
Le rapport au temps est aussi une des clés de tes films. Sont-ils plus difficile à monter financièrement dans une époque qui s’accélère, où l’on recherche une certaine « efficacité » ?
J’ai la chance d’avoir le même producteur depuis longtemps (Pascal Caucheteux), il me connait, il ne panique pas, il sait que le travail sur mes films prend du temps. De ce point de vue, je sais que c’est une chance, un luxe. Je serais incapable d’enchaîner un film tous les ans, j’ai besoin de me retourner, de rester un peu dans la pensée du film que je viens de faire avant de changer d’obsession, d’aller cultiver un autre jardin. C’est pour ça que j’aime bien assister aux débats après projection du film, ça me permet de mieux comprendre le film que j’ai fait (rires)… ça me permet aussi de « tuer » le film, d’en finir avec lui avant de passer au suivant.
Dans Comme un avion, Vuillermoz et Brouté construisent un bac pour traverser une rivière vers une rive où il n’y a rien. Cela ne résume-t-il pas l’esprit de ton cinéma ?
Oui, j’aime bien le bricolage, l’idée de construire des choses pas forcément utiles à première vue. C’est d’ailleurs le propre de l’art, ou de la recherche scientifique. On dit à Vuillermoz et Brouté « vous avez construit ce bac, très bien, mais pourquoi ? Il n’y a rien en face !« . Ils répondent « ben maintenant, y aura« . Rien ne justifiait de construire ce bac mais maintenant qu’il existe, on pourra justement installer quelque chose sur l’autre rive, des tables, des chaises, etc. La gratuité de l’acte suscite a posteriori sa justification. C’est comme la recherche fondamentale, ça parait inutile. Au départ, à quoi bon envoyer un électron de A à B ? Après, on sait que la télévision et plein d’autres applications scientifiques en découlent… Notre compréhension de l’univers passe par là.
Les sciences t’intéressent ?
Les mathématiques me fascinent car ils sont une pure exploration de l’inconnu. Les maths fournissent des clés à molettes aux physiciens pour aller plus loin dans la connaissance de l’univers et je trouve ça assez beau. J’ai entendu dire que les mathématiciens sont des paresseux intelligents, j’aime cette idée. J’aime les fainéants, je me méfie des besogneux. Pour intéresser les collégiens aux maths, on devrait d’abord leur expliquer à quel point c’est d’abord une belle langue. Les maths, c’est avant tout des bonnes questions. Par exemple, pourquoi pas 1 – 2 ? On a inventé les nombres négatifs pour y répondre, mais c’est la question qui est belle : comment ôter le plus grand au plus petit ?
Comme un avion, sortie nationale le 10 juin
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