Un essai brillant sur le dernier film de Bruce Lee, et sur le beau Narcisse au corps intouchable.
Lorsqu’en 1973 le monde découvre le blockbuster américain Opération Dragon, son interprète principal, Bruce Lee, est mort depuis deux mois, “officiellement d’un oedème cérébral”, précise Bernard Benoliel, auteur d’un essai court et brillant sur le film.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Avant, une poignée de films chinois – La Fureur du dragon, La Fureur de vaincre – en avaient fait le roi d’un cinéma d’exploitation, remplissant les salles de quartier.
Opération Dragon devait être la consécration, avec tout le faste du protocole hollywoodien, d’un comédien né à San Francisco, grandi à Honk Kong, mais revenu sur le sol américain de 19 à 29 ans – période durant laquelle, raconte Bernard Benoliel, il dut faire face au “racisme de l’Amérique puritaine”.
Opération Dragon sanctionnait donc la victoire d’une reconquête. Mais ce fut aussi le terme d’une carrière au succès soudain et foudroyant. La biographie n’est pas absente de ce petit livre dense, mais c’est surtout à travers les films, leurs récits, et plus encore l’insistance de certaines figures, que Benoliel trace un portrait de Bruce Lee.
Il analyse par exemple la façon dont ses films se démarquent des “traditionnelles logiques d’apprentissage et des scénarios pédagogiques de la transmission” propres aux films ou aux séries télé de kung-fu. Pas de vieux maître shaolin pour former le petit dragon. Bruce Lee n’apprend rien, il sait déjà.
“Son éducation a toujours déjà eu lieu.” C’est un corps “d’emblée adulte et intouchable”. Un corps intouchable : c’est le fil le plus passionnant de la réflexion de Bernard Benoliel, qui décrit comment ce corps est “davantage une armure qu’une enveloppe”, et la façon dont, à force de surentraînement, il s’adjoint des prothèses naturelles :
“Il lui pousse toujours de nouveaux muscles, lui viennent de nouveaux gestes, un nouveau volume, et idéalement des membres supplémentaires.”
C’est l’image du cinéma comme miroir, glace réfléchissante tendue au narcissisme humain, que fait culminer Bruce Lee. La mise en scène y devient l’art “de filmer un corps sous tous ses angles”, de faire culminer “l’amour de soi dans une déconstruction fétichiste”.
Mais le cinéma est aussi un miroir dangereux. Comme beaucoup de miroirs. Lorsqu’il apprit qu’un acteur américain, David Carradine, avait été retenu à sa place pour le premier rôle de la série télévisée Kung Fu, Bruce Lee frappa son image dans un miroir de façon répétée, jusqu’à ce qu’il se brise et que ses mains soient ensanglantées.
Jean-Marc Lalanne
Opération Dragon de Robert Clouse par Bernard Benoliel (Yellow Now), 128 pages, 12,50 €
{"type":"Banniere-Basse"}