Aux Philippines, explique le cinéaste Brillante Mendoza, on peut filmer ce que l’on veut, même la corruption des institutions. Dont acte avec Ma’Rosa.
Brillante Mendoza, Philippin de 56 ans, a réalisé quinze films en dix ans (Serbis, Kinatay…). Tous décrivent un pays rongé par les typhons, la corruption et le crime. Rencontré pour la sortie de Ma’Rosa, dont l’actrice principale, Jaclyn Jose, a remporté le prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes, il s’est très vite fait le défenseur du président des Philippines, Rodrigo Duterte, leader populiste adepte de l’insulte généralisée et de la violence étatique. Un entretien surprenant.
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Comment est né Ma’Rosa ?
Brillante Mendoza – Il y a quatre ans, pour la première fois, j’ai rencontré un témoin direct de cette histoire de flics corrompus qui rendent leur liberté à des dealers en échange d’une rançon.
Le spectateur occidental a l’impression qu’aux Philippines, la corruption fait partie de la vie quotidienne. Les policiers qui pratiquent ce genre de racket prennent-ils la peine de se cacher ?
Oui. Ils craignent quand même la justice. Les gens savent très bien qu’ils commettent des actes illégaux. Ils savent que c’est mal de vendre de la drogue ou de kidnapper des dealers. En même temps, pour moi, Rosa et son mari Nestor sont de bons parents, même s’ils dealent. Ils font tout pour tenir leurs enfants à l’écart de leur “commerce”.
Dans votre film, les femmes (Rosa ou sa belle-sœur) sont plus fortes que les hommes. Elles sont si dures qu’elles n’expriment jamais leur amour. Et elles crient tout le temps (rires).
Je vous rappelle que les Philippines ont déjà eu deux présidentes de la République… Oui, les femmes portent souvent la culotte. Mais ici, on n’exprime pas les sentiments tendres. On les cache derrière des manières très rudes.
Avez-vous rencontré des difficultés d’ordre politique pour tourner Ma’Rosa ?
Pas du tout. Nous sommes l’un des rares pays au monde où l’on peut tourner un film dès que l’envie nous en prend. Ça coûte très peu, tout le monde peut s’exprimer et filmer ce qu’il veut. Nous avons des fonds d’aide à la production, des formations au cinéma, etc. La difficulté, c’est la distribution parce qu’il y a très peu de salles. Le vrai problème, c’est d’arriver à se renouveler.
Que pensez-vous de votre nouveau président de la République, Rodrigo Duterte, qui est très controversé ? D’abord parce qu’il insulte les chefs d’Etat du monde entier, mais surtout parce qu’il mène une guerre sauvage contre les trafiquants de drogue…
C’est un Président très spécial, c’est vrai. Mais les gens doivent comprendre – même les Philippins – qu’il est le premier Président issu de la minorité musulmane du sud du pays, sachant que 90 % des Philippins sont catholiques.
Dans cette région, les gens ont une façon de s’exprimer très particulière. Ils utilisent les mots d’une manière qui peut être choquante au premier abord. Normalement, c’est inacceptable, chez nous comme dans le reste du monde, d’employer publiquement des mots orduriers.
Mais Duterte utilise ce vocabulaire. Pas parce qu’il est sans éducation mais parce que ça fait partie de sa culture. Même pour nous, les catholiques, c’est très inconvenant. Et traduit en anglais, c’est toujours catastrophique. “Fuck you”, pour eux,ça veut dire “Hey !” ou “Hello !”, vous comprenez ? C’est une expression sans valeur.
Mais dans une conversation officielle, on ne peut pas dire “Fuck you” comme si de rien n’était, alors qu’en fait on veut dire bonjour… D’autre part, nos organes d’information préféraient le précédent Président – qui possédait la plupart des médias.
Les réseaux sociaux aussi sont défavorables à Duterte. Les médias étrangers, eux, ne connaissent pas les Philippines et s’arrêtent à sa façon de parler et au fait qu’il fait tuer un nombre important de trafiquants de drogue, ce qui est avéré.
Mais il s’est quand même vanté d’avoir tué des gens et a fait abattre, depuis son élection au mois de mai, plus de 3 700 personnes liées au trafic de drogue, et ce sans aucune forme de procès !
Ce n’est pas la première fois que des atteintes aux droits de l’homme se produisent aux Philippines – tout le monde le sait et il suffit d’avoir vu certains de mes films, comme Tirador, pour être au courant. Ma’Rosa a été tourné avant l’arrivée de Duterte au pouvoir.
Les gens devraient donc éviter de relayer des informations qui circulent sans discernement sur les chaînes de télévision philippines. Aujourd’hui, beaucoup de gens ont peur de Duterte. Mais il faut comprendre que nous avons de gros problèmes avec la drogue. Les administrations précédentes ne s’en occupaient pas. Il a fallu qu’il arrive au pouvoir pour qu’il se passe quelque chose, et même pour que cette situation soit dite, formulée.
Aux Philippines, les parrains de la drogue emprisonnés ont des bureaux luxueux à l’intérieur même de leurs lieux de détention ! Ils ont la mainmise sur les prisons. Ça non plus, on n’en parlait pas. Actuellement, dans les prisons, le gouvernement désigne des chefs chargés de protéger des réseaux de drogue les détenus qui n’en font pas partie ! Voilà dans quelle situation se trouve notre pays.
Ma’Rosa (Phi., 2016, 1 h 50), lire la critique du film p. 63
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