A 77 ans, Brian De Palma, auteur de Phantom of the Paradise, Blow Out, Scarface, Mission:Impossible et de tant d’autres films cultes, fait l’objet d’une rétrospective à la Cinémathèque, au moment où sort Les serpents sont-ils nécessaires ?, roman écrit à quatre mains avec sa compagne Susan Lehman. Rencontre avec le plus baroque des grands cinéastes américains apparus dans les années 1970.
Brian De Palma n’est pas, c’est de notoriété publique, facile à interviewer. Volontiers bougon, surtout lors des premières minutes de notre rencontre matinale dans un grand hôtel parisien, bottant en touche lorsqu’il n’a pas envie de répondre, il s’assouplit toutefois peu à peu, apaisé par la présence de sa compagne, Susan Lehman, avec qui il a écrit le livre dont il vient faire la promotion (Les serpents sont-ils nécessaires ?), et qu’il a tenu à avoir à ses côtés. Portant comme souvent une veste militaire kaki, barbe blanche et courte, il est tel un gros chat qui vous toise, l’air méchant, avant d’accepter de jouer avec vous. Et lorsqu’enfin il le fait, son visage et sa voix changent du tout au tout, il devient malicieux et drôle. Mais se referme si la question suivante ne lui plaît pas…
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Six ans après la sortie de son film précédent, Passion, et tandis que le prochain, Domino, est attendu bientôt sur les écrans (on espère le voir à Venise ou à Toronto), il fait l’objet d’une rétrospective intégrale à la Cinémathèque française. Contrairement à ses camarades de promotion, les Spielberg, Lucas, Scorsese et Coppola, “movie brats” immortalisés autour d’une table par une célèbre photo de 1994, De Palma n’a pas cherché à bâtir d’empire, et n’a jamais capitalisé sur le succès d’un film autrement qu’en obtenant le droit de faire le suivant. Si bien qu’il se retrouve aujourd’hui, à 77 ans, dans une position relativement inconfortable, loin d’Hollywood depuis bientôt deux décennies, obligé de monter ses projets en Europe et de se soumettre à des aléas de production – avec lesquels il a toujours dû composer, cela étant dit.
Si ses derniers films (comme le fascinant Passion) portent la trace de cette fragilité, disons matérielle, ils demeurent majestueux, œuvres d’un esprit toujours brillant, et méritent d’être réévalués. Mais c’est en réalité toute la filmographie qu’il est vital d’ingérer, et de digérer. Car parmi les cinéastes de sa génération, il est sans doute celui qui a porté l’exigence esthétique le plus haut, celui pour qui le cinéma, en dehors de toute autre considération (économique, sociologique, idéologique), aura constitué un apprentissage absolu du monde.
Pour De Palma, que ce soit dans ses classiques à l’influence immense (Carrie, Blow Out, L’Impasse, Mission: Impossible), dans ses films de jouisseur au pouvoir de séduction intact (Phantom of the Paradise, Pulsions, Body Double, Snake Eyes), ou même dans ses œuvres mal aimées, parfois injustement (L’Esprit de Caïn, Mission to Mars), pour De Palma donc, la seule éthique qui vaille est celle de la mise en scène. C’est elle seule qui donne son sens à l’incompréhensible, elle seule qui nous console de l’irrésistible violence du monde, elle seule qui sauve l’âme du voyeur impuissant, figure dans laquelle s’est si souvent projeté le cinéaste, et bien entendu le spectateur que nous sommes.
On retrouve dans votre roman Les serpents sont-ils nécessaires? beaucoup de vos obsessions, pour ne pas dire toutes. S’agit-il d’une histoire que vous envisagiez pour le cinéma et qui n’a pas pu se faire ?
Brian De Palma — J’ai entassé de nombreuses idées depuis des années. Pas toujours des scénarios, juste des idées, développées sur une trentaine de pages, qui ne me paraissent pas de nature à devenir des films. J’en avais vraiment beaucoup dans mon ordinateur, et je me suis dit, plutôt que de les gâcher, pourquoi ne pas en faire un livre ? J’ai 77 ans : combien de films pourrai-je encore réaliser ? Les serpents sont-ils nécessaires ? est ainsi né de tous ces projets inachevés qui me hantaient. Susan Lehman, ma partenaire, qui était éditrice au New York Times, m’a aidé à transformer ces bribes d’histoires en roman. Notamment en approfondissant les personnages : je trace des archétypes, Susan leur donne chair. On s’est beaucoup amusés à le faire.
Quelle a été la première impulsion ? L’idée ou l’image qui vous a donné envie de faire de tout ça un roman ?
Brian De Palma — Tout est parti du scandale qui a touché en 2008 le sénateur John Edwards (candidat malheureux aux primaires démocrates de 2004 et 2008 – ndlr) : il fut accusé d’entretenir une relation adultérine et d’avoir eu une fille avec la vidéaste Rielle Hunter (qui avait déjà, bien avant ce scandale, inspiré un personnage à Jay McInerney et à Bret Easton Ellis – ndlr). C’est devenu un scandale d’Etat lorsqu’en 2011 on lui reprocha d’avoir utilisé des fonds de campagne pour cacher cette relation. Les coucheries d’un politicien avec une femme réalisant ses vidéos de campagne, ça me semblait un bon point de départ, et le reste s’est ajouté au fur et à mesure.
Le dénouement sur la tour Eiffel, en un remake de Vertigo, a quelque chose de gaguesque. Plus généralement, vous jouez, comme souvent dans vos films, avec les codes, les coïncidences, les twists improbables…
Brian De Palma — C’est quelque chose qui m’a toujours plu. La vie est ainsi faite, il me semble. Peu m’importe que ce soit réaliste ou non. Je ne me suis jamais préoccupé de ça. Le réalisme est étriqué. Il n’y a que les executive producers qui s’en soucient. La vie est plus folle que n’importe quelle fiction, c’est une évidence. (Il réfléchit) Quelles sont les chances que le Président couche avec une porn-star ? Aucune, voyons, tout ça n’est pas réaliste. D’ailleurs, il ne connaît pas de porn-star, n’est-ce pas (rires) ? Mais une photo prouve le contraire ! Une photo ? Quelle photo ?
Vous décrivez là précisément le mécanisme de postvérité : les faits ne comptent plus, et on peut tenir n’importe quel discours. Comment travaillez-vous avec ça, en tant que cinéaste ?
Brian De Palma — J’ai travaillé avec ça toute ma vie. Les politiciens mentent. Trump ment, maladivement, mais ce n’est pas le premier. Souvenez-vous de Bush, Saddam Hussein et les armes de destruction massive. Pendant des mois, ils ont voulu nous faire avaler cette fiction. On est partis en guerre, on n’a rien trouvé, mais ce n’est pas grave : maintenant qu’on y est, on reste. Et voilà comment on envahit un pays sans raison valable.
Susan Lehman — Joseph Brodsky était un poète russe, émigré aux Etats-Unis, que j’ai eu la chance d’avoir comme professeur à l’université. Et je me souviens qu’il nous décrivait l’Union soviétique comme un univers de vérités parallèles – ou, comme on dirait aujourd’hui aux Etats-Unis, de “vérités alternatives”. Prenez une orange. Le gouvernement dit : “Ceci est une pomme.” Ah bon, d’accord, c’est une pomme alors. Et on se rapproche de ça aux Etats-Unis. C’est inquiétant.
Brian De Palma — Pour ma génération, l’assassinat de Kennedy a été structurant, vous vous en doutez. J’ai lu toutes les théories sur son assassinat, et ça a donné Blow Out. Mais ce que j’ai découvert, et c’est la grande leçon du Blow-Up d’Antonioni, c’est que quand on zoome sur des détails, tout finit par devenir une masse grise et indistincte. Plus vous enquêtez, plus la réalité devient nébuleuse…
Et les théories complotistes sur le 11-Septembre, vous leur accordez du crédit ?
Brian De Palma — Non, non. Pour Kennedy, j’ai tout de suite perçu que la version officielle ne tenait pas, que c’était un assassinat politique. Mais l’idée que le gouvernement aurait fait sauter les deux tours pour justifier la guerre au Moyen-Orient, ça ne tient pas. C’est ridicule.
Susan Lehman — En revanche, d’un strict point de vue fictionnel, les théories du complot sont très efficientes. Ce sont souvent des histoires bien ficelées, et il est intéressant de s’en inspirer.
Blow Out, justement, ouvre la rétrospective que vous consacre la Cinémathèque. C’est votre choix, n’est-ce pas ?
Brian De Palma — Absolument. J’avais envie de parler de ce film, ainsi que d’Outrages (en VO Casualties of War, qui a fait l’objet d’une masterclass – ndlr), car ce sont deux exemples de “pur De Palma”, et deux films dont je suis très fier. Pour Blow Out, l’idée de départ était la mienne, et c’est grâce au soutien de Travolta, qui avait saisi ce que je voulais faire, que j’ai eu un budget confortable et carte blanche. Outrages, quant à lui, est tiré d’une histoire vraie, scénarisée magnifiquement par David Rabe, mais une histoire si triste que personne n’a voulu la produire pendant des années. C’est là encore mon comédien principal, Michael J. Fox, qui venait à l’époque de faire un carton avec Retour vers le futur, qui m’a permis d’avoir le feu vert. C’est quelqu’un avec qui j’ai aimé travailler, mais ce n’était pas facile : le rôle était exigeant, et Sean Penn se comportait de façon très antipathique avec lui. Il restait dans son personnage de bully agressif en dehors du tournage…
Ce sont aussi deux films très contemporains, il me semble. Ils n’ont pas vieilli, et ce qu’ils décrivent reste actuel, non ?
Brian De Palma — Hélas… La corruption est rampante, on continue à s’impliquer dans des guerres inutiles… L’Amérique a violé le Vietnam, puis elle a violé l’Irak. C’est le sens d’Outrages. A un moment, Sean Penn tient son sexe dans une main, son fusil dans l’autre et dit du premier “ça, c’est une arme”, et du second “ça, c’est pour s’amuser”. J’ai tenté de remontrer ça dans Redacted, mais je n’ai pas été plus entendu : ni Redacted ni Outrages n’ont marché. Trop durs, trop anti-américains. Personne ne veut voir ça. Mais bon… Ce n’est pas sans espoir. La vérité finit toujours par sortir. Les journalistes travaillent dur pour ça. (Se tournant vers Susan Lehman) Quelle est la nouvelle devise du Washington Post, déjà ?
Susan Lehman — “La démocratie meurt dans les ténèbres”… Ça en jette, ça pourrait être le titre du prochain Batman (rires) !
Brian De Palma — Le New York Times avait “Toutes les nouvelles qui méritent d’être imprimées”, il fallait bien que le Post trouve autre chose.
A ce propos, vous avez vu The Post (Pentagon Papers) de Steven Spielberg ?
Brian De Palma — Oui, ça m’a beaucoup plu. J’ai trouvé ça passionnant de raconter l’histoire des Pentagon papers du point de vue d’une femme, Katharine Graham, lâchée dans ce monde d’hommes qu’est le journalisme. C’était original. Et magnifiquement exécuté par Steven. On ne s’ennuie jamais visuellement.
Vous êtes toujours ami avec lui ?
Brian De Palma — Oui, on se voit régulièrement. Comme Steven est aussi ami avec Jake Paltrow – qui a réalisé avec Noah Baumbach un documentaire sur moi* et qui est mon voisin –, quand il vient à New York on va dîner tous ensemble. Il a par ailleurs une maison à Long Island, moi aussi, et donc on se voit l’été. On s’est toujours bien entendus, Steven et moi. Il n’a pas changé, le succès ne lui est pas monté à la tête.
Et les autres “Movie brats” (Scorsese, Lucas, Coppola), vous les voyez toujours ?
Brian De Palma — Marty est très occupé, il travaille tout le temps. Pour le voir, il faut planifier ça des semaines àl’avance… George vient parfois à New York et nous convie à dîner. Quant à Francis, je ne le vois plus beaucoup.
Vous avez vu ses films récents, faits en dehors d’Hollywood ? Avec vous, c’est celui qui a eu le plus maille à partir avec les studios, et qui se retrouve aujourd’hui hors du système…
Brian De Palma — Certes, mais de façon très différente. Francis a voulu bâtir un empire pour concurrencer les studios, et ça n’a pas marché. Moi, j’avais la volonté de travailler avec les studios, et ce sont eux qui m’ont rejeté. Aujourd’hui, il finance ses propres films, tandis que moi je dois toujours trouver des producteurs. En tout cas, j’ai bien aimé Tetro.
Aujourd’hui, vous préférez travailler avec des producteurs européens plutôt qu’américains ?
Brian De Palma — Oh oui, c’est plus facile. Enfin, c’était facile avec Saïd Ben Saïd pour Passion, parce que c’est un vrai producteur, comme on en fait peu. On développe d’ailleurs un nouveau projet : un thriller horrifique sur le harcèlement sexuel dans le milieu du cinéma. Plus ou moins inspiré d’événements réels récemment rendus publics (sourire matois). En revanche, sur mon dernier film, Domino, avec un producteur danois, ça a été très dur…
Tout le monde s’attendait à voir le film à Cannes… Et puis non. Que s’est-il passé ?
Brian De Palma — Je suis furieux, et vous pouvez l’écrire. Le film a été montré non postsynchronisé, non mixé, non étalonné, et sans ma permission, à Thierry Frémaux, qui a dû se demander “Qu’est-ce que c’est que ça ?” Les producteurs ont fini par trouver l’argent et on l’a terminé la semaine dernière. J’imagine qu’il sera bientôt montré dans un festival. Mais aïe aïe aïe, quelle galère !
Les nouveaux outils techniques de cinéma vous intéressent-ils ? La caméra à très haute fréquence (120 images par seconde) qu’utilise Ang Lee dans Un jour dans la vie de Billy Lynn, par exemple ?
Brian De Palma — Ça m’a paru futile, mais je ne l’ai pas vu dans les conditions de projection adéquates ; le film a de bonnes choses par ailleurs, ça part d’une bonne idée, mais je n’ai pas saisi où Ang Lee voulait en venir. Sinon, en ce moment, ce sont les plans au drone qui m’intéressent. Dans l’avion qui m’a amené ici, j’ai vu un film français avec des plans au drone in-croy-ables (il sort un carnet de sa poche, ouvre une page où est écrit : “Au revoir là-haut, drone shots” – ndlr). Ces plans sont devenus un lieu commun, tout le monde en fait parce que c’est joli, mais c’est très rare qu’ils aient du sens. L’an dernier, j’étais dans un jury à Toronto, et je me souviens avoir dit à mes cojurés : “Au prochain plan au drone, je meurs !”
Une conséquence néfaste des caméras numériques est que leur sensibilité extrême fait qu’on n’a plus besoin de savoir éclairer. On peut filmer n’importe quoi, n’importe où, et on a tout de suite un résultat satisfaisant – et dont trop de personnes se satisfont. C’est ainsi que le style télévisuel l’emporte. Je vais paraître vieux jeu en disant cela, mais l’art photographique d’un Sternberg s’est perdu, et je le regrette. La faible sensibilité de la pellicule d’alors nécessitait un éclairage extrêmement complexe, si complexe que rien ne pouvait être arbitraire. Chaque plan avec Marlene Dietrich est un chef-d’œuvre en soi.
On peut quand même faire des choses incroyables grâce aux caméras numériques. Des choses que Sternberg, précisément, ne pouvait pas se permettre. Il y avait ce film chinois magnifique cette année à Cannes, Long Day’s Journey into Night (Le Long Voyage vers la nuit), de Bi Gan, avec un plan-séquence d’une heure, en partie filmé avec un drone.
Brian De Palma — Long Day’s Journey into Night… Pas facile à retenir, mais beau titre. J’y jetterai un œil. Les nouvelles techniques m’intéressent, ne vous méprenez pas. Mais à partir du moment où on les utilise à bon escient. Pas pour se rendre la vie plus facile. Quand la Steadicam est sortie, ça a été une révolution pour moi. Je m’en suis servi pour la première fois dans Blow Out (en 1981 – ndlr), et ça m’a permis de concevoir des plans de plus en plus complexes. Celui à la fin de L’Impasse, dans les escalators, est un autre bon exemple. En ce moment, je travaille sur un projet qui nécessite un plan au drone très complexe, et je m’amuse comme un fou à l’imaginer. Alors quand j’ai vu ce film français, j’étais un peu jaloux (rires) !
Y a-t-il un acteur que vous êtes fier d’avoir dirigé, avec qui le travail a été particulièrement enrichissant ?
Brian De Palma — J’ai revu récemment Scarface au festival de Tribeca, et je dois dire que j’ai été impressionné par le cast. Ce que fait Al (Pacino), bien sûr, est extraordinaire, mais aussi Michelle (Pfeiffer), Steve (Bauer)… C’est un de mes grands accomplissements, je pense.
Vous aimeriez travailler avec un acteur ou une actrice que vous n’avez encore jamais dirigé(e) ?
Brian De Palma — Jennifer Lawrence est une actrice incroyable. Chez David O. Russell (Happiness Therapy, American Bluff, Joy), wow, elle m’impressionne. Dommage qu’elle ait fait de si mauvais choix récemment. C’est quoi son dernier film déjà ? Ah oui, Red Sparrow. (D’un ton cinglant) Mais qu’est-ce qui lui passe par la tête ? Ridiculous. Aïe aïe aïe. Les grands acteurs devraient seulement travailler avec de grands réalisateurs, et ne pas écouter leurs imbéciles d’agents. (Il réfléchit) J’aimerais aussi faire un film avec Meryl Streep.
Pour revenir au livre, à la fin le photographe obtient ce qu’il veut – une œuvre d’art – mais il aura perdu pour cela un amour, une amie, et son innocence. Comme John Travolta dans Blow Out, qui cherche à enregistrer le cri parfait… Croyez-vous qu’on doive s’infliger et infliger de la peine pour créer de grandes œuvres ?
Brian De Palma — (sentencieux)Je le crains, hélas. L’art se fait souvent au prix d’une grande souffrance. Pas toujours – ce livre n’a été que du plaisir, par exemple – mais souvent.
Susan Lehman — (interloquée) Tu penses vraiment ça ?
Brian De Palma — Les artistes sont dans la position d’observateur, et ça peut se faire au détriment de ceux qu’on aime ou qu’on aimerait protéger davantage. Il y a une cruauté inhérente à l’art, je trouve. Ainsi qu’une culpabilité de ne pas pouvoir faire plus. On arrive trop tard. Quelqu’un est en danger, vous prenez une photo, clic, cette personne tombe, oups (rires).
Susan Lehman — (légèrement moqueuse) Ah ah, en effet, voilà qui est depalmien !
La critique ne vous a pas toujours épargné. Surtout aux Etats-Unis…
Brian De Palma — Les films ne changent pas, c’est le contexte politique, l’establishment critique, les modes qui changent. Pour cette raison, je suis depuis longtemps serein quant à la critique, car je sais qu’elle est fluctuante, et que mes films vieillissent bien. Prenez Body Double : je me suis fait massacrer par les féministes à l’époque . La scène de la perceuse, en particulier, a été vue comme un exemple de violence gratuite envers les femmes. Aujourd’hui, le film est étudié et apprécié en gender studies… Même chose avec Dressed to Kill (Pulsions). Il faut savoir résister aux modes et laisser le temps faire son œuvre.
Même Vertigo n’a pas été très bien accueilli à l’époque. Alors qu’aujourd’hui c’est officiellement le meilleur film du monde, et certainement le plus influent sur le cinéma contemporain – et sur vous, à l’évidence. Comment expliquez-vous que le film continue d’exercer une telle fascination ?
Brian De Palma — Hitchcock travaillait avec des éléments qui ne trouvaient leur expressivité maximale qu’au cinéma. Il ne se contentait pas d’enregistrer la réalité : il cherchait comment l’exprimer par des moyens purement visuels et sonores. Du cinéma à l’état pur. Il faisait des belles images et nous faisait tomber amoureux d’elles. Et c’est ça que Vertigo raconte, au fond : une fiction est inventée, le héros (et le spectateur) tombe amoureux d’une image, et celle-ci se fait tuer– deux fois, à notre plus grande stupeur ! Les béances scénaristiques sont énormes dans Vertigo, mais ça n’a aucune importance. On s’en moque. Ce n’est pas ça, le cinéma. (En français dans le texte) Voilà.
* Documentaire sobrement intitulé De Palma, consistant en une excellente interview, très fouillée, montée avec des images de films, chronologiquement. Basique mais très instructif, il vient de sortir en Blu-ray/DVD chez Carlotta
Livre Les serpents sont-ils nécessaires ? de Brian De Palma et Susan Lehman (Rivages/Noir), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, 332 pages, 16 €
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