Braquer Poitiers de Claude Schmitz, un huis clos estival, fragmentaire, qui nous dévoile en trompe-l’œil un monde mélancolique.
Les films sont-ils plus harmonieux que la vie ? Cette question truffaldienne travaille en sous-texte, caché derrière le joli grain de ses images délavées, Braquer Poitiers, premier long métrage de Claude Schmitz.
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Non pas seulement parce qu’il y règne cette communion magique, inconnue des turbulences du quotidien, mais parce qu’ici, dans ce huis clos estival, c’est bien la vie, ses fragments, placés au centre de l’image qui éclatent comme de petits miracles.
un scénario digne d’une blague Carambar
Alors, de quoi s’agit-il ? D’une invitation bel et bien réelle. Celle de Wilfrid Ameuille, directeur de stations de lavage et acteur furtif du précédent film de Schmitz (Rien sauf l’été – 2017), qui, ravi de l’expérience, conviait l’équipe sur ses terres de Nouvelle-Aquitaine pour un nouveau tournage.
En face, il fallait un partenaire follement aventureux pour accepter le marché et imposer ses conditions : l’initiateur du projet devait devenir le producteur associé et surtout l’acteur – dans son propre rôle – du film.
Une genèse fantasque
Autour de cette genèse fantasque, le cinéaste belge a organisé un polar loufoque et tricoté une ligne de scénario digne d’une blague Carambar : un braquage impossible et une prise d’otage consentie manigancés par un attendrissant duo de bras cassés, bientôt rejoints par deux belles cagoles.
Mais peu importe. Ici, toute fiction est un prétexte égayé, et irrésistiblement clicheteux, pour faire avancer un film engourdi dans la moiteur de l’été, régi par les improvisations (on pense à Jacques Rozier) d’une bande d’acteurs professionnels ou pas.
Un faux film de kidnapping
Ce qui fait la belle singularité de cette vaine séquestration qui cristallise tous les motifs de ce faux film de kidnapping (ne serait-ce pas Wilfrid le véritable braqueur ?), c’est la sensation de pénétrer dans un monde – une maison, un jardin, la place du village – déjà là avant nous.
Un monde de pas grand-chose, semblable à ceux, nostalgiques, des films de vacances qui ne capturent rien d’autre – et c’est énorme – que l’écoulement du temps.
En transformant la supposée captivité de Wilfrid, poule aux œufs d’or du récit, en une expérience de vie commune (derrière et devant la caméra) tendre, amicale et surtout libératrice pour cette âme solitaire avide d’expériences, Braquer Poitiers, sous ses effets pastel enveloppants, se double d’une réflexion théorique, d’une éthique réconfortante sur le plateau de cinéma comme chantier des fantasmes.
Mais tout enchantement finit par s’étioler. Dans un dernier geste, un épilogue baptisé « Wilfrid », Schmitz fissure l’alchimie de son décor, en dévoile son négatif (au collectif succède la solitude retrouvée de sa vedette, aux couleurs chatoyantes, la brume de l’hiver) et laisse s’engouffrer, dans cette farce que l’on croyait inoffensive, un souffle mélancolique et déchirant.
Braquer Poitiers de Claude Schmitz, avec Francis Soetens, Hélène Bressiant, Wilfrid Ameuille (Fr., 2018, 1 h 25)
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