Comment résiste le cinéma français aux températures sibériennes ? Quels films vont voir les Russes ? Des plaines enneigées aux dégustations de vodka, plongée dans une région qui n’a pas échappé à la globalisation. Troisième épisode d’un reportage publié dans le numéro déjà en kiosque (et diffusé dans son intégralité sur les Inrocks.com).
Culture vodka
Journée chargée, mais hors cinéma. Fin de matinée, on visite une usine de vodka dans la banlieue de Novosibirsk. Ici, tout est vétuste : bâtiments usés, équipements vieillots, cuves rouillées, abords où l’on patauge dans la boue et la neige fondue.
Pour le coup, on se croirait revenu en URSS, et l’endroit fait plus penser à Tchernobyl qu’à un équivalent de l’un de nos domaines viticoles. On nous explique le processus de filtrages successifs : une vodka de qualité dépend de la pureté de l’eau et de l’élimination du méthanol contenu dans l’eau de vie de blé brute.
A la fin de la visite, dégustation dans les règles de l’art. Il est midi, on est face à quatre godets de vodka de provenance non précisée, on a une fiche où l’on doit noter à l’aveugle la transparence (sur 2), l’arôme (sur 4) et le goût (sur 4). Des plateaux de lard, de pain noir et de choux mariné accompagne la dégustation. Mme la directrice (croisement de Josiane Balasko et de Irina Ceaucescu) nous explique la vodka « weltanshung ». Il faut toujours manger gras avec la vodka pour n’être ni saoul ni malade (c’est vrai, ça marche, on l’a amplement vérifié).
Une bonne vodka ne brûle ni lèvres ni palais, elle réchauffe seulement l’intérieur du corps (vrai aussi, vérifié aussi). La vodka s’avale d’un trait, contrairement au vin. Quand on a bu un shot, il faut respirer la croûte de pain noir pour mêler goût et arômes de blé et de seigle. Je mets la note maximale aux quatre vodkas, toutes excellentes à mon goût : douces au palais, incendiaires dans le ventre.
Au final, c’est le liquide du cru (la maison Almass) qui obtient la meilleure note globale, à la grande fierté de « Josiane Balasko ». Je lui demande ce qu’elle pense de la Stolichnaia : une bonne vodka qui aurait eu sa place dans les quatre de la dégustation. Et Absolut ? Moue très parlante de Balasko. C’est bien ce qui me semblait : de l’alcool à brûler emballé design pour les gogos occidentaux. On quitte Almass très gai, les bras chargés de divers produits maison (vodka au piment, liqueur de vodka…).
Bienvenue chez les oligarques
Nous sommes ensuite invités à déjeuner dans une datcha en lisière de la ville : le ministère de la culture de la région de Novossibirsk tient à nous honorer avant notre départ pour Krasnoyarsk. On passe une barrière gardée par des hommes armés pour entrer dans un quartier de villas disséminées dans une dense forêt de sapins en bordure de l’Ob, l’un des grands fleuves sibériens. Il fait un pâle soleil d’hiver, la lumière est splendide, les lieux magiques.
Ce n’est pas un repas mais un banquet que nous ont réservé les institutions culturelles locales : caviar, saumon fumé, crudités, blinis, chachlik, vodka, vins fins. Je retrouve mon ami le vice-ministre, Vladimir Miller, qui prend déjà rendez-vous avec moi pour boire des coups lors de son prochain voyage à Paris. En attendant, il envoie la vodka à un rythme que j’ai du mal à suivre (je ne suis pas russe, malgré mes origines).