Comment résiste le cinéma français aux températures sibériennes ? Quels films vont voir les Russes ? Des plaines enneigées aux dégustations de vodka, plongée dans une région qui n’a pas échappé à la globalisation. Deuxième épisode d’un reportage publié dans le n°784 des Inrocks (et diffusé dans son intégralité sur lesinrocks.com).
Quelques chiffres
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Selon un sondage de Komkon, les russes de 16-25 ans consacrent leurs sorties prioritairement au cinéma (31%), loin devant le théâtre, les expos ou les discothèques (étrangement dernières à 6%). En 2010, 347 films sont sortis en Russie, attirant 145,7 millions de spectateurs pour un chiffre d’affaire global de 655 millions d’euros. A titre de comparaison, la France totalise pas loin de 200 millions de spectateurs par an. En Russie, le billet coûte en moyenne 4,5 euros.
Le top 10 du box-office russe est occupé par Avatar avec près de 14 millions d’entrées. Les films français ont attiré 2,5 millions de spectateurs sur les dix premiers mois de 2010, soit plus que sur toute l’année 2009. 50 films français (y compris des coproductions avec la Russie) auront squatté les écrans russes en 2010 ce qui constitue un record (sources : Joel Chapron/Unifrance).
Cet ensemble de données montre que le marché russe rattrape peu à peu son retard sur l’Europe occidentale et que sa structure est comparable à celle des autres pays : domination du cinéma américain, puis du cinéma national, le reste du monde se partageant les miettes. Et dans ce « reste du monde », le cinéma français est majoritaire.
Je vais découvrir Le Mac (entièrement doublé en russe !), la comédie de Pascal Bourdiau va sortir ici sur 300 copies. Au-delà de l’étrangeté de voir José Garcia parler russe, le film remplit son objectif principal sur la trame comique classique d’une confusion entre deux frères jumeaux aux personnalités radicalement opposées : il est drôle. La salle marche, rigole beaucoup et applaudit à la fin.
Plus tard, j’assiste au débat entre Cédric Kahn et le public suivant la projection des Regrets. Comme je le constaterai ultérieurement lors des discussions autour de Joueuse de Caroline Bottero ou de Je suis heureux que ma mère soit vivante de Nathan et Claude Miller, le public sibérien recèle une composante très cinéphile (et peut-être aussi francophile), posant des questions pointues, faisant des remarques bien vues.
Un type de commentaire revient de façon récurrente lors de tous ces débats : les spectateurs sont heureux de voir des films non formatés, qui traitent de sujets quotidiens, sociétaux ou intimistes, ce qui les change des blockbusters habituels. En Russie comme ailleurs, il existe un public friand d’offre culturelle différente, minoritaire. La nuit des courts métrages attirera 800 personnes, pour la plupart très jeunes, et 80% resteront jusqu’au bout et au petit déjeuner offert à ces vaillants spectateurs.
Conversation avec un vice-ministre
Je rencontre et discute avec beaucoup de gens. Vladimir Miller, vice-ministre de la culture de la région de Novossibirsk, me fait le topo de toutes les activités soutenues par le ministère : opéra, ballet, écoles de danse et de chant, théâtre… Musique et danse demeurent un invariant de l’éducation russe, quelques soient les régimes politiques. Mais quand je demande à M. Miller quel est son budget, il déclare rigolard, « l’argent, on n’en a jamais assez ! » Les budgets ont probablement fondu depuis la chute du communisme et Vladimir Miller admet qu’il existe désormais une forte concurrence du secteur privé.
Miller a l’air autant porté sur la vodka que sur la culture (quoique la vodka, c’est aussi de la culture), il a pas mal d’humour (il apostrophe Nathan Miller en l’appelant « mon fils » !) et me confiera plus tard que son écrivain préféré est Henry Miller (mais je ne saurai pas si ce choix est littéraire ou homonymique). Christel Vergeade a longtemps travaillé dans les services culturels de l’ambassade de France, elle est maintenant « passée à l’ennemi » puisqu’elle est désormais chef de projet pour Sovexportfilm, les cousins russes d’Unifrance.
Mais si les artistes et cinéastes français apprécient généralement l’intervention de l’Etat, vécue comme une aide et une protection, il en va tout autrement chez les Russes qui se méfient terriblement de tout ce qui est étatique après 70 ans de communisme réel, craignant perte de contrôle, voire censure. Christel rencontre là sa principale difficulté : réussir à convaincre les cinéastes et producteurs russes de se faire représenter à l’étranger par Sovexport alors qu’ils préfèrent dans leur grande majorité se débrouiller tout seuls et ne passer que par les canaux privés.
Gaulois en Sibérie
Après un fastueux repas sibérien au restaurant Expeditia (poissons crus, fumés, glacés, grillade d’élan, vodka au miel et raifort)durant lequel Carole Bouquet, notre pétillante ambassadrice, méritera le surnom de « Reine Margaux », la nuit se termine cette fois dans une boite-karaoké. Endroit très high-tech, avec des écrans plats sur tous les murs. Des groupes de jeunes russes sont attablés, picolent, chantent (tubes internationaux et variété russe) et fument la chicha.
Les patrons se sont mis en quatre pour nous accueillir : on nous sert la vodka et les zakouskis (poissons fumés, charcuteries, cornichons macérés) en abondance, puis on envoie les chansons françaises.
Menée par la pétulante Christine Citti, la délégation française perd alors tout self-control et toute prestance ambassadrice : bourrés, imbibés, euphoriques et épuisés, on se met tous à beugler faux du Piaf et du Dassin, tels les Gaulois lâchés dans Athènes d’Astérix aux Jeux Olympiques.
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