Bien que sa ressortie en salle mercredi dernier a été écourtée et comme le film est disponible en VoD, retour sur la genèse, le tournage et l’héritage de Blue Velvet, sans doute le film le plus heureux, le plus équilibré, et, peut-être, le plus parfait de son auteur, David Lynch.
Au milieu des années 1980, David Lynch, encore jeune cinéaste, est déjà à la croisée des chemins. Après l’expérience au long cours et en solitaire qu’a été Eraserhead et la réussite artistique et commerciale d’Elephant Man, le cinéaste vient de signer l’adaptation de Dune, un film de commande produit par Dino de Laurentis, et, le moins qu’on puisse dire, c’est que cette expérience d’un film à très gros budget lui a un laissé un goût plutôt amer.
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Garder le contrôle artisitique
Heureusement pour tenter d’effacer cette déconvenue, Lynch a un projet beaucoup plus modeste en magasin : un scénario entièrement original nommé Blue Velvet. C’est l’occasion pour lui de récidiver avec Dino de Laurentis mais, si possible, en changeant les règles du jeu. En l’occurence, la modestie relative du budget (environ 5 millions) va permettre à Lynch de garder le contrôle artistique sur son nouveau film — ce qui n’était évidemment pas le cas pour Dune. Et, pour lui, ça change vraiment tout !
De tous les films de Lynch, Blue Velvet est sans doute le plus heureux, le plus équilibré, et, peut-être, le plus parfait. D’après les témoignages, le tournage fut un vrai bonheur. D’abord et avant tout, parce que le cinéaste y rencontre Isabella Rossellini, avec laquelle il vivra ensuite, pendant quatre ans, une authentique histoire d’amour. C’est aussi l’occasion d’une autre rencontre, fondamentale sur le plan artistique, celle du compositeur Angelo Badalamenti, d’abord engagé pour faire répéter l’actrice qui doit chanter, dans le film, la fameuse chanson Blue Velvet, mais qui composera finalement le score du film et deviendra très vite l’un des membres essentiels du gang lynchien. Blue Velvet marque également la deuxième apparition de Kyle Mc Lachlan dans l’univers de Lynch, lui qui avait été découvert et choisi par le cinéaste pour interpréter L’Elu dans Dune, et c’est également le premier rôle de Laura Dern dans un film de son mentor.
Un film matriciel
Toutes ces premières fois font de Blue Velvet un vrai film matriciel. Et ce d’autant plus que l’univers et le récit stylisés que Lynch invente à cette occasion peuvent être vus comme le modèle de Twin Peaks, voire des films qui vont suivre (en particulier Lost Higway ou Mullholland Drive). En ce sens, Blue Velvet est bien, pour Lynch, comme un nouveau premier film à travers lequel se dessine toute son œuvre à venir.
A part ça, quand on revoit Blue Velvet, on est frappé par l’extrême cohérence du film. Mais, le plus fort, c’est que cette cohérence n’enlève absolument rien à son mystère. Bien au contraire. Le récit du film s’articule sur une opposition entre l’univers du jour et celui de la nuit dans la petite ville imaginaire de Lumberton, avec le jeune Jeffrey Beaumont (Kyle Mc Lachlan donc) comme passeur candide et pervers entre ces deux mondes. Blue Velvet, c’est l’histoire, à travers sa rencontre avec Dorothy Valens (Isabella Rossellini, sublime) et Frank (Dennis Hopper, vraiment dingue), de son initiation au mal, au sexe, au voyeurisme, au sadomasochisme, à la violence… L’histoire hitchcockienne (versant Fenêtre sur Cour), séduisante, sexy et vénéneuse à souhait, d’un spectateur sommé de devenir acteur de sa propre vie, au risque d’y découvrir l’envers du décor et les horreurs qui vont avec mais aussi, il faut bien l’avouer, d’éprouver une certaine jouissance, trouble mais ô combien puissante.
Un film qui se bonifie
On n’en finirait pas de dénombrer les beautés de Blue Velvet, un film qui se bonifie à chaque vision. Depuis l’oreille coupée découverte dans l’herbe au début du film, en passant par la première apparition de Dorothy Valens/Isabella Rossellini chantant fragilement Blue Velvet, la version karaoke du In Dreams de Roy Orbison par le clown blanc, Dean Stockwell, le fameux « Baby wants to fuck » de Frank/Dennis Hopper et son masque pour asthmatique, sans oublier cet instant nocturne d’un lyrisme absolu où Dorothy Valens surgit nue et défaite au beau milieu de la pelouse d’une maison bourgeoise aux apparences paisibles. Autant de moments d’anthologie qui vont tous dans le sens de la théâtralisation d’un monde qui bascule peu à peu dans un cinéma mental d’une puissance inégalée.
Alors Blue Velvet c’est quoi finalement ? Le chef-d’œuvre des années 1980 ! Une drogue dure ! Un rideau de scène qui s’ouvre sur nos fantasmes inavoués ! Un des films les plus ouvertement sexuels de l’histoire du cinéma ! Tout cela à la fois, mais aussi un cri de ralliement ou, plutôt, un mot de passe aussi envoûtant que le seront plus tard Twin Peaks ou Mullholland Drive ! En tout état de cause, un rêve de cinéma dont on ne se lassera jamais !
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