Après l’annulation polémique de sa sortie en salles, le film belge précédé d’un vrai buzz sort enfin en e-cinema. Analyse et discussion avec un de ses co-auteurs, Adil El Arbi.
C’est un peu un pis-aller pour le film d’Adil El Arbi et Bilall Fallah, mais c’est toujours mieux que rien : Black sort aujourd’hui en e-cinéma en France. Il y a quatre mois, un communiqué de la société Paname Distribution annulait sa sortie en salles, au motif d’une interdiction aux moins de 16 ans trop dangereuse pour le film, et plus généralement des « réticences des exploitants de cinéma à le programmer dans le contexte actuel ».
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Guerres de gangs
Réaction qu’on peut qualifier de disproportionnée : Black ne parle en aucun cas de terrorisme. Il n’est que lointainement relié à ce « contexte actuel » (excepté par son décor) puisqu’il se consacre aux guerres de gangs dans les banlieues bruxelloises. Les Black Bronx, issus de l’immigration noire, s’opposent au 1080, issus de l’immigration maghrébine. Entre les deux, un argument un peu fleur bleue, mais pris très au sérieux par les deux auteurs : un amour impossible entre deux membres de groupes rivaux.
Mine de rien, le sujet est chaud dans ces banlieues, comme le rappelle un carton en fin de film : la guerre des gangs fait encore de nombreux morts, et elle est très difficile à endiguer. « chaque jour quand on a eu des problèmes, c’était différent à chaque fois : un coup c’est parce que le business du dealer commençait à 18h et qu’il voulait qu’on fasse place nette, un autre c’est un mec de bande qui vient menacer de nous poignarder », se souvient avec un peu d’humour Adil El Arbi.
West Side Story version criminalité bruxelloise
On sait gré à Adil El Arbi et Billal Fallah d’avoir choisi de placer le plus haut possibe la barre de la production value, au risque d’être presque tape-à-l’œil (amples mouvements de caméra, rendu très stylisé). Mais ce risque, les deux anciens camarades d’école de cinéma ont l’air de l’assumer, réellement préoccupés par la capacité du film à se rendre accessible, séduire des publics non cinéphiles tout en conservant son identité propre. « On a fait le film avec un million deux cents mille, mais le mot clé c’était toujours production value, on voulait que le film ressemble à un film de grand spectacle », revendique Adil El Arbi.
On leur sait également gré de ne pas avoir eu peur du lyrisme, du tragique, voire de l’outrance. Il y a dans le film, parsemé de quelques scènes de danse et de battle, une énergie à la West Side Story, version criminalité bruxelloise. Les couleurs sont chaudes, estivales, et un sentiment légèrement artificiel (mais d’une belle manière) parcourt tout le film, dans les dialogues, la symétrie parfaite de l’intrigue.
Quelque chose cependant tranche brutalement avec cette espèce de naïveté du scénario : la violence, particulièrement graphique. Celle des règlements de compte, des armes à feu qui bientôt pullulent ; celle aussi que subissent les femmes, le film dressant un très sévère constat de l’assujettissement des femmes dans les banlieues dépeintes : jeunes filles effacées, à la merci des rivalités dont elles font l’objet, réduites à l’esclavage sexuel, violées au moindre écart.
La Haine comme référence
Lorsqu’on demande aux deux auteurs quels sont leurs films de référence, pour Black ou de manière générale, la réponse est presque trop prévisible, mais ils l’assument avec assurance : La Haine, La Cité de Dieu, et autres hits du cinéma de banlieue. Ce qu’il ne disent pas tout de suite, mais qu’on devine déjà derrière leur réponse, c’est qu’il y a en eux une américanophilie profonde, évidente, dirigée vers le cinéma mais aussi vers les séries : l’envie sincère de traiter de sujets contemporains avec la puissance, si ce n’est la pompe du cinéma de genre. Et leur destin le confirme : pas dupes, El Arbi et Fallah ont tout fait que le film soit vu à Hollywood, et par les bonnes personnes.
La stratégie a porté ses fruits : FX leur a confié une série, Snowfall, sur l’explosion du trafic de crack dans le Los Angeles des années 80. Une consécration assez remarquable après un seul film – mais un film qui se remarque, justement, malgré quelques maladresses qu’on lui pardonne bien volontiers.
À découvrir en e-cinéma.
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