En prenant sa source dans un matériau audio inédit, “Billie” s’offre une forme originale pour éclairer le destin tragique et la personnalité de Billie Holiday.
La Billie du titre, c’est bien évidemment Billie Holiday, la chanteuse des chanteuses, dotée d’une voix tellement singulière qu’on la reconnaîtrait entre mille. Une voix chargée de toute une vie traversée par le racisme, la drogue, les mauvais traitements, mais aussi par une pure joie musicale. Une vie terrible que le biopic documentaire de James Erskine entreprend de nous raconter.
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Mais, une fois n’est pas coutume, pour remplacer les sempiternelles “têtes parlantes”, le réalisateur a déniché un trésor de guerre : des heures et des heures d’entretiens audio, réalisés, dans les années 1970, par la journaliste Linda Lipnack Kuehl et demeurés inédits jusqu’à ce jour. Et ces kilomètres d’entretiens accumulés, illustrés le plus souvent par des photos et des archives plutôt rares, constituent même la véritable matière du film, celle à partir de laquelle tout s’organise.
Obsédée par Billie Holiday, Linda Lipnack Kuehl avait en effet recueilli, dans le but d’écrire une biographie qui ne verra jamais le jour, une série de témoignages de première main – plus de deux cents heures d’entretiens –, avec des musiciens proches de la chanteuse, certains de ses anciens amants, des proxénètes, voire des agents du FBI qui avaient procédé à son arrestation.
Un chassé-croisé singulier qui rend le film plus captivant et surtout plus incarné que n’importe quel biopic traditionnel
La même Linda Lipnick Kuehl avait fini par se suicider mystérieusement en 1978. De sorte qu’une des originalités du film est de suivre en parallèle les destins de Billie et de Linda, dans un chassé-croisé assez singulier qui rend le film nettement plus captivant et surtout plus incarné que n’importe quel biopic traditionnel.
Evidemment, la matière de ces entretiens inédits est passionnante. On y entend, par exemple, l’un des aristocrates du jazz, le grand Count Basie, et l’on comprend qu’il fut très proche de Billie Holiday – ce qui n’est pas une totale découverte – mais, plus surprenant, qu’il fut sans doute l’amant de Linda Lipnack Kuehl, ce qui valut à la journaliste des menaces qui renforcent l’énigme de son suicide.
On y entend également des musiciens moins célèbres témoigner des mauvais traitements que la plupart des amants de Billie Holiday lui infligeaient, de son addiction à l’héroïne, du racisme implacable qu’elle a subi toute sa vie, de sa personnalité fantasque et très contradictoire. Rien de nouveau sous le soleil du deep South sans doute, mais entendre raconter ces histoires de la bouche de proches de la chanteuse donne à ces épisodes qui ponctuent l’existence tragique de Billie un relief encore plus grand qu’à l’accoutumée. Et même si vous connaissez par cœur la vie de Billie Holiday, vous y apprendrez forcément quelque chose.
Et la musique dans tout ça ?
Et la musique dans tout ça ? Elle est surtout présente dans les extraits de concert et les documents filmés, parfois colorisés (ce qui n’est curieusement pas gênant), que le film nous propose, en contrepoint de son enquête. On y voit, par exemple, Billie Holiday chanter le fameux Strange Fruit, sans doute la première protest song à dénoncer frontalement la ségrégation raciale, et c’est toujours aussi bouleversant. Au final, les magnifiques interprétations de Billie Holiday n’illustrent pas sa biographie, elles en sont le cœur battant et elles transcendent sa trajectoire erratique et douloureuse.
Billie de James Erskine (G.-B., 2020, 1h32)
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