Entre documentaire et fiction, une exploration fascinante et rêveuse du monde des animaux.
Bestiaire n’est pas vraiment un documentaire animalier, ni une fiction ou même un album d’images tel qu’on a pu l’entendre ici ou là. C’est un film du turbulent cinéaste québécois Denis Côté (tout juste auréolé d’un prix de l’innovation au festival de Berlin pour son dernier opus, Vic et Flo ont vu un ours), donc une expérience un peu à part, sans règle ni objectif, un e étrange construction ludique et indéfinie qui exige un effort d’imagination et promet en retour quelques découvertes imprévues.
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Le matériau d’origine est une simple captation dans un zoo, un enchaînement de séquences sur l’ordinaire des animaux et des hommes qui les gardent captifs, leurs rituels partagés entre les cycles des saisons, rien de très excitant ni d’aventureux en apparence. Tout en longs plans fixes, sans commentaire, le film enregistre dans des décors épurés les circulations des bêtes au fil d’une chronique de la vie en cage, où les singes bondissent, les lions dorment et les chèvres bêlent.
Derrière cet effacement manifeste de l’auteur, la neutralité presque clinique de son regard, Denis Côté est là, pourtant, qui tire les ficelles dans l’ombre, organise une série de petits trafics et de négociations avec le réel, détournant ce Bestiaire de son banal programme documentaire. Comme dans la plupart de ses fictions (Nos vies privées, Curling), le Québécois recherche ici un dérèglement progressif des perceptions, un moment d’instabilité dans le déroulé mécanique de son film, où les sens soudain s’affolent, où l’on ne sait plus très bien ce qu’il faut voir ou penser. Ce sont des choix de cadres ahurissants, des tricheries de montage ou des effets bruitistes d’une bande-son onirique qui font basculer Bestiaire dans d’autres régimes de réalité : ici une comédie absurde sur la vie des autruches, là un drame sur l’enfermement des bêtes ou encore une série B au détour d’une superbe séquence chez un taxidermiste filmé comme le médecin tortionnaire du Jour des morts-vivants.
L’originale et mystérieuse beauté du film réside alors dans sa manière de ne jamais trancher entre toutes ces hypothèses, de laisser libre cours au surgissement poétique d’imaginaires variés que déclenchent les simples mouvements de ces animaux. De faire d’un zoo le plus bel écrin du cinéma.
Romain Blondeau
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