La Cinémathèque française consacre une rétrospective au maître du giallo, Mario Bava. Le cinéaste Bertrand Mandico, auteur notamment des Garçons sauvages, reprend ici les motifs d’une œuvre fascinante.
La couleur fouettée, la couleur bafouée, la couleur outrée, la couleur tranchée, la douleur verte, la douleur rouge, la douleur violette…
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Mario Bava est le tailleur des lumières, le cinéaste aux grands rêves sans moyens, il fabrique ses images à grands coups de projecteurs colorisés, comme on construit une cabane incandescente dans la nuit tragique.
Son expressionnisme bariolé embrase tous les genres, il navigue au flambeau dans les eaux usées de la fresque épique, s’enferme dans la peur et les crimes multicolores, griffe les muscles héroïques, explore les grottes brûlantes, sillonne des plages au crépuscule permanent, s’engouffre dans la nuit verte pour dénicher les sentiments ambigus.
Le cinéma populaire poussé à son paroxysme, l’outrance italienne, ou la grâce unique d’une époque d’après-guerre qui a soif de couleur, pour panser ou repenser la douleur.
A l’instar d’un Seijun Suzuki, son alter ego nippon, Mario Bava enchaîne les films de commande avec une énergie fiévreuse, celle de l’artiste inspiré, qui se croit simple artisan, qui sous prétexte du manque de moyens et de temps, invente des figures de style révolutionnaires et avant-gardistes, tout en se rêvant classique et hollywoodien.
Déjà au début de sa carrière, dans des films en noir et blanc, Bava éclairait la douleur tout en couleur, se servant des variations colorimétriques pour métamorphoser un visage maudit.
Une femme portant un maquillage verdâtre invisible sous une lumière verte, se révélait affreusement grimée quand la lumière du projecteur devenait rouge.
C’est le plan emblématique des Vampires (1957) que Bava cosigne avec Ricardo Freda. Il contient l’essence de la dramaturgie de Mario Bava : le visage de la peur, celui qu’il traquera de film en film.
D’abord chef opérateur, Mario a la cruauté au bord de l’optique, l’érotisme à fleur de lampe. Il sculpte les décors, filtre les cieux, magnifie l’expressivité des acteurs, caresse les peaux.
Bava devient cinéaste, efficace, enchaînant des tours de force formels, toujours plus intenses.
Comme Cocteau, il pratique le trucage poétique. Comme lui, il passe de l’autre côté du miroir, pour se perdre aux enfers.
Mais chez Bava, le romantisme devient fable SM, sans retour possible.
C’est le genre que retrousse et détrousse Bava au fil des films.
Il invente le giallo baroque, précédant ainsi Argento de plusieurs années. Six Femmes pour l’assassin (1964), étant le modèle haute couture du genre : tueur masqué, mannequins de velours rouge, arme blanche surréelle, filles sacrifiées.
En 1961, année de surabondance pour Bava, il signera La Ruée des Vikings, où il prendra soin d’attacher ses personnages, pour les sublimer en martyrs érotiques, persécutés par les flèches et le destin.
La même année, il poursuivra l’aventure épique en allant aux enfers, avec un film crypto-homo-érotique Hercule contre les vampires qu’un critique résuma ainsi : William Blake léché par Kenneth Anger.
Dans Les Trois Visages de la peur (1963), Bava joue au film à sketches horrifique. Avec notamment une variation combinée autour de la voix humaine. Mais le sketch est prétexte à capter les états paniques des visages, les envieuses suantes, la beauté apeurée, la jeunesse maltraitée par le visage tordu de la mort.
Tout au long de sa carrière, Bava a tendu son miroir infernal, il a donné sa vision multicolore d’un enfer dantesque, explorant ses cercles sans jamais l’avouer.
Six Femmes pour l’assassin, La Ruée des Vikings, Les Trois Visages de la peur En salle, versions restaurées
Rétrospective Mario Bava Du 3 au 28 juillet, Cinémathèque française, Paris XIIe
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