Le récent réalisateur de « Nocturama » était l’invité de « Dans les yeux de… » sur Radio Nova. Il y a évoqué sa première image fantasmée de « Psychose », son amour pour le punk, les complexes qui l’habitaient lorsqu’il a commencé à faire du cinéma, la portée critique de son travail et son besoin de faire une pause après trois longs-métrages en cinq ans.
Dans les yeux de… sur Radio Nova, une émission de Jean-Marc Lalanne, rédacteur en chef des Inrockuptibles, a pour objectif d’explorer le rapport aux images de l’invité, de sa prime enfance jusqu’à celles qui peuplent son environnement contemporain.
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Si la première image de Bertrand Bonello est une image manquante, celle du Psychose d’Alfred Hitchcock, que ses parents lui interdisaient de voir, ce sont des souvenirs télévisuels qui peuplent la mémoire du réalisateur enfant ; les séries Les Mystères de l’Ouest, Amicalement vôtre et Chapon melon et bottes de cuir.
Adolescent, il loue des films de genre à la vidéothèque (les films d’épouvante d’Argento, de Cronenberg et de Fulci) avant de se désintéresser du cinéma vers 15-16 ans pour lui préférer la musique punk :
« Le punk est mon socle musical et il a fondé mon rapport à plein de choses ; idéologiquement, politiquement et aussi esthétiquement parce que, par exemple, je trouve que The Clash est le summum de l’élégance en termes de vêtement. C’est le dernier groupe bien habillé. »
« J’étais très complexé de ne pas avoir fait d’études de cinéma »
Stranger than Paradise (1984) de Jim Jarmusch le ramène au cinéma. Tout lui parle dans ce film et il marque son entrée dans une cinéphilie adulte. Son intérêt pour Jarmusch va l’amener à Wenders. Antonioni puis Pasolini suivront. Enfin, Chaplin et Dreyer vont constituer son panthéon cinématographique. Entre 20 et 30 ans, il voit 4-5 films par jour et décide en même temps de commencer à réaliser des films qui seront bien éloignés du réalisme en vigueur à cette époque :
« La question très basique du naturalisme et du réalisme est une question dont on entendait beaucoup parler. Elle m’a très vite fait peur. Au moment où je démarre le cinéma, il y avait toute une génération de cinéastes qui était totalement obsédée par Pialat et Cassavetes, à mon avis pour de mauvaises raisons, c’est-à-dire sans vraiment les comprendre. Quand j’ai commencé le cinéma, j’étais très complexé de ne pas avoir fait d’études de cinéma, de ne pas avoir un passif cinéphile, de ne pas avoir été assistant et de ne connaître personne dans le milieu. Je me suis dit qu’il fallait que je me sorte de ces questions sur le naturalisme. Et puis il est vrai que, en tant que spectateur, je n’aime rien tant qu’un film qui vous prend à un endroit et vous emmène à un autre. Naviguer entre le réel et l’abstraction est un exemple de ce genre de trajet. Un film doit savoir quitter le réalisme, à ne pas confondre avec la réalité au sens pasolinien du terme qui est probablement ce qu’il y a de plus beau, pour pouvoir naviguer dans les images. Ces équilibres sont les questions qui me travaillent le plus quand je prépare un film. »
Jean-Marc Lalanne l’interroge ensuite sur la dimension critique de son travail où les questions de la propriété des images et de la manière dont elles incarnent le capitalisme sont omniprésentes :
« J’ai toujours peur d’avoir de grandes idées et des thèmes qui seraient plus forts que les films. J’essaie de travailler avec de toutes petites choses qui finissent par fabriquer un tableau. Lorsqu’on s’éloigne, on voit finalement quel est le sujet du film. Je ne pars jamais avec un sujet avant. Mais, par exemple, pour moi, Saint Laurent parle aussi beaucoup du passage des années 70 aux années 80, qui marque le démarrage de l’image marchande absolue, que ce soit en art contemporain, en mode, comme c’est montré dans le film, et même en cinéma ou en publicité. Les années 80 arrivent et balayent tout avec ce que ça peut avoir de festif mais c’est en même temps un signal très dangereux sur ce qui va arriver ensuite, on le voit aujourd’hui. Et aujourd’hui c’est Nocturama. C’est pour cela que j’aime bien que ces deux films se fassent suite car, en se suivant, ils font sens. »
Bertrand Bonello se pose également beaucoup la question de l’emprise de la technologie et des images sur nos existences. Pour lui, nos téléphones intelligents sont des « disques durs externes qui ne cessent d’appauvrir notre disque dur interne ». Il se questionne sur la sacralité de l’image cinématographique à l’heure du numérique :
« C’est la première fois historiquement depuis 20 ans que les progrès technologiques sont en fait des régressions esthétiques. On peut me vendre ce qu’on veut, à un moment, l’image numérique est quand même moins belle que l’image argentique. »
En fin d’émission, après avoir parlé de l’importance du son au cinéma et de son goût pour le film Aquarius de Kleber Mendonça Filho, le cinéaste et musicien évoque la suite de sa carrière :
“Je ne sais pas s’il y aura un prochain film. J’ai l’impression d’être un peu au bout d’un cycle. C’est par ailleurs la première fois de ma vie que je n’ai pas vraiment de projet, ni l’absolue nécessité d’en avoir. Les dernières années ont été très riches, très denses, avec trois longs-métrages, des courts-métrages, une expo… Et des longs-métrages souvent compliqués. (…) Là je ressens le besoin de réaccueillir des choses avant de m’y remettre, c’est-à-dire marcher dans la rue, voir des tableaux, me reposer un peu et me poser des questions.”
L’émission complète est disponible ici ou ci-dessous :
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