Alors que s’achève ce week-end la 66e Berlinale, un film singulier vient marquer ces derniers jours de compétition : « A Lullaby to the sorrowful mystery », film fleuve de 8 heures, du Philippin Lav Diaz.
Un film de 482 minutes, ça fait combien d’heures ? 8 heures et 2 minutes. Ces deux minutes finales seraient-elles l’équivalent du légendaire After 8 dans Le Sens de la vie des Monty Pythons ? Souvent accusé de sélectionner des fictions « dossiers de l’écran » ou des coprod’ académiques dépourvues d’intérêt artistique, impression en grande partie confirmée cette année, Dieter Kosslick a fait un choix radical en programmant dans sa compétition A Lullaby to the sorrowful mystery du Philippin Lav Diaz, avec un entracte d’une heure. On donnerait cher pour voir la tête de la présidente du jury, Meryl Streep, pendant la projo, à partir de la troisième heure. On galèje, si ça se trouve, elle a adoré, Meryl.
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L’insurrection contre le colonisateur espagnol
De quoi parle ce film-fleuve qui a la durée d’une mini-série ? De la révolution philippine de la fin du XIX siècle contre le colonisateur espagnol, et notamment de l’exécution d’un activiste le 30 décembre 1896. A partir de cet événement historique, Diaz déploie un vaste récit feuilletonnesque qui met en scène des révolutionnaires, les occupants espagnols et le peuple philippin pris dans l’étau des violences espagnoles et de celles entre divers courants de la révolution. Des enfants et vieillards sont massacrés, des femmes sont violées, et toute ressemblance entre ces faits et d’autres commis à d’autres endroits et périodes de l’histoire, y compris aujourd’hui, n’est pas que pure coïncidence. Pour autant, il ne faudrait pas imaginer que Diaz a commis un pensum historique et mémoriel larmoyant. Utilisant le noir et blanc et le format ancien 1 :33 (presque carré), usant du plan moyen incluant tous les personnages dans le cadre, et rarement du gros plan et du champ-contrechamp qui constituent la vulgate esthétique dominante du cinéma actuel, le style de Diaz invoque le cinéma des origines et évoque selon les séquences les frères Lumière (explicitement cités), John Ford, voire les Straub. Si ses cadres ont la sobriété et la fixité de la jeunesse du cinéma, ses plans sont luxuriants, souvent tournés dans la jungle, ou de nuit, fourmillant d’objets, de meubles, de plantes et végétaux, de zones d’ombres, qui rendent la vision parfois légèrement incertaine, et le spectateur pas toujours sûr de bien voir ce qu’il croit voir. Par ailleurs, si ses options plastiques sont rigoureusement cohérentes, Diaz multiplie les tonalités, les registres, passant du drame à la comédie, du silence au dialogue et à la chanson, du réalisme à l’onirisme léger, de passages discursifs à d’autres relevant du récit d’aventures, du polar noir au mélo…
Un long fleuve méandreux
Dans ce long fleuve méandreux, il arrive parfois qu’on laisse des personnages en carafe pour les retrouver trois heures après. Il arrive aussi que le spectateur soit lui-même en carafe, victime de certaines séquences abusivement étirées. Le voyage est inégal, partagé entre longueurs et moments brillants, voire éclatants : une exécution filmée hors champ, tous les passages satiriques concernant le dominateur espagnol, ses généraux et ses curés, les dialogues socratiques sur les classes sociales, l’espérance et le manque d’espérance qui sont aussi bien de 1896 que de 2016… A l’arrivée, on a le sentiment d’avoir accompli un trip, ingurgité une méga rasade de cinéma à la fois moderne et à l’ancienne, et perçu un propos de moraliste, critiquant aussi bien la brutalité coloniale que la violence et les chapelles révolutionnaires. J’hésite à en faire mon Ours d’or à cause des longueurs évoquées plus haut mais A lullaby to the sorrowfull mystery est à coup sûr l’objet le plus singulier de la Compétition.
Demain, suite et fin de cette Berlinale et pronos du palmarès.
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