Le cinéma de l’Austro-libanais Patric Chiha et de l’Israélien Avi Mograbi élève des êtres abaissés par les aléas économiques ou géopolitiques.
L’Austro-libanais Patric Chiha et l’Israélien Avi Mograbi prouvent chacun dans leur style ce que tout cinéphile qui se respecte sait depuis longtemps : le documentaire est un genre fécond qui sécrète beaucoup de fiction et qui n’exclut pas le style.
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Ainsi, Brothers of the Night (Panorama) est le plus beau geste de cinéma vu jusqu’à présent dans cette Berlinale. Chiha y a filmé une bande d’ados et post-ados bulgares (entre 16 et 25 ans) venus gagner leur vie à Vienne en se prostituant dans les réseaux gays. Leur situation est glauque, mais Chiha lui insuffle une énergie, une beauté et une humanité époustouflantes.
Ces “frères de la nuit” sont d’une présence cinégénique extraordinaire : ils sont beaux, sexy, hâbleurs, canailles, aimantent la caméra, et racontent leur expérience de putes homos avec un mélange de vérité abrupte et de frime mytho, tels des acteurs-nés. Chiha ne cherche pas à expliquer, analyser ou dénoncer leur condition de vie, il évite la sociologie et le misérabilisme préférant plutôt accompagner ces jeunes gens avec empathie, les filmer en passant du temps avec eux, en faire des personnages de cinéma. Il ne les filme d’ailleurs pas en“action”, mais en dehors de leurs passes, quand ils sont entre eux et quand ils se racontent, dans la rue ou dans des bars aux éclairages roses, bleus, rouges…
Brothers of the Night n’a ainsi rien de voyeuriste mais magnifie au contraire ce sous-prolétariat du sexe et des flux économico-géopolitiques inégalitaires. Chaque plan est inspiré, vibrant, porté par la stylisation coloriste des lumières de bars et par une BO superbe. Pour avoir une idée de la puissance de cinéma à l’œuvre ici, pensez à Fassbinder, Pasolini, Kenneth Anger, rien de moins. Brothers of the night est un film d’une beauté sauvage, du sunlight pour les gueux.
Retrouver sa dignité par le théâtre
Between Fences (Forum) de Mograbi est aussi un beau film, même si d’une force moindre. Le cinéaste a suivi les réfugiés africains qui veulent émigrer en Israël mais dont l’Etat d’Israël ne veut pas, les cantonnant dans des camps au milieu du désert et faisant tout pour les dégoûter de vouloir devenir citoyens israéliens. Situation tristement banale de nos jours, dont l’actu fait écho quotidiennement et sous toutes les latitudes. L’originalité de Between fences, c’est que Mograbi et le metteur en scène de théâtre Chen Alon ont proposé à ceux des réfugiés qui le souhaitent de prendre des cours d’art dramatique et de créer une pièce sur leur expérience d’exilés.
Le film est essentiellement constitué de ces répétitions et de ces représentations, point de jonction et de fusion entre le docu et la fiction : ces Africains sont à la fois des migrants qui racontent leur sort et des comédiens qui écrivent et jouent leur histoire. Pour eux, l’art n’est pas un moyen d’évasion ni de fuir leur sombre réalité mais tout le contraire : un moyen de verbaliser leur condition, de la mettre à distance, de la dominer un peu au lieu d’être dominé par elle, une façon de retrouver une dignité de sujet – à défaut d’un visa israélien.
Comme Brothers of the Night, mais avec une esthétique moins flamboyante, plus âpre et brute, Between Fences élève des êtres que les circonstances géopolitiques ont rabaissés. Morale du jour : si Chiha et Mograbi ont trouvé leur matière de cinéma dans les marges de la société, c’est aussi dans les marges des grands festivals qu’on déniche parfois les plus belles pépites filmiques.
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