Dans le précédent épisode berlinois, on usait de la métaphore footballistique. Foot et cinéma sont précisément au cœur de The Second Game, étonnant docu de Cornéliu Porumboiu, présenté dans l’excellent Forum, sans doute la meilleure section de la Berlinale. Le dispositif de The Second Game est à la fois simplissime et ultra singulier : c’est la […]
Dans le précédent épisode berlinois, on usait de la métaphore footballistique. Foot et cinéma sont précisément au cœur de The Second Game, étonnant docu de Cornéliu Porumboiu, présenté dans l’excellent Forum, sans doute la meilleure section de la Berlinale. Le dispositif de The Second Game est à la fois simplissime et ultra singulier : c’est la retransmission télévisée d’un match de foot de 1985 opposant le Steaua Bucarest au Dynamo de Bucarest. Hein ? C’est tout ? Attendez…
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Il faut d’abord préciser que le Dynamo était l’équipe de l’armée et le Steaua celle de la police et de la securitate (ou le contraire, je ne sais plus) et que ce derby géographique et politique millésimé 85 se tenait donc dans la période précédant la chute de Ceaucescu. Ensuite, ce match a eu lieu sous une tempête de neige continuelle, ce qui donne un supplément de tension dramatique et d’enjeu esthétique. Enfin, le détail le plus important : l’arbitre était un certain Porumboiu – le père du cinéaste ! On en revient au dispositif : Porumboiu junior a gardé telles quelles les images télévisées de l’époque mais a coupé le son, le remplaçant par un dialogue entre lui et son père commentant le match en 2013 : images en différé de presque quarante années, son en direct (enfin presque).
Ça donne un film épatant. D’abord, le match est superbe, très engagé, parfois très technique malgré la météo exécrable, avec un affrontement entre deux styles de jeu, des glissades dans la neige, une rivalité entre deux institutions « ceaucescuiennes », et pléthore de grands joueurs roumains (Hagi, Ilie, Stelea, Lacatus, Petrescu, Belodedici… la génération qui sera quart finaliste au Mondial 94 américain). Ensuite, les commentaires père-fils sont un bijou d’humour roumain, comme un échange entre Ionesco et Cioran. Le père raconte d’abord les tentatives d’influence de la part d’officiers des deux bords. Le fils s’interroge sur l’arbitrage relâché de son père. Et pourquoi t’as pas sifflé, là ? Et pourquoi t’as pas sorti le carton jaune ? Et le père qui explique qu’il fallait fluidifier le jeu, respecter la règle de l’avantage, ne pas distribuer trop vite les cartons sous peine de tuer le match et d’énerver encore plus les joueurs.
La neige devient aussi un instrument d’analyse du jeu : les ailes sont blanches immaculées, le centre du terrain côté Steaua est sombre boueux, signes indubitables que le Dynamo domine à domicile mais n’utilise pas assez les couloirs… Un simple match devient un évènement politique, historique, symbolique, philosophique, existentiel… et artistique. T’as vu cette rapidité et cet engagement dit le père. Et le fils, à un moment du match : oh la la, c’est chiant, là, il ne se passe rien… comme dans mes films ! Les deux commentent aussi l’état des images, les choix de la télé Ceaucescu, comme le petit nombre de caméras ou cette ridicule manie de cadrer les tribunes chaque fois que des joueurs se chauffent : dans le paradis stalinien, le mauvais esprit sportif devait rester hors-champ ! On espère que ce truc inclassable sera distribué en France, c’est le meilleur film de foot que j’ai vu de ma vie. Au fait, score final, 0-0.
Embellie
Côté compète, légère embellie après le tunnel des premiers jours. Grâce en soit d’abord rendue à l’Argentine Célina Murga dont La Tercera orilla (The Third Side of The River) ouvrait la journée de mercredi. Pour raconter cette histoire de famille et d’un fils de 18 qui se révolte contre un père autoritaire et macho, Murga use d’un style très elliptique, impressionniste, ou rien n’est lourdement explicité, ou tout se dévoile et se comprend par infusion lente, par une somme de gestes, regards et micro-évènements que l’on décrypte et comprend à retardement. Dans la lignée de son aînée Lucrecia Martel, Murga filme deux niveaux de récit : celui qui advient à l’image et qui ressort du quotidien banal d’une famille, et celui, plus invisible, qui se déroule entre les images, dans les plis des non-dits familiaux et dans l’intériorité du personnage principal, et c’est évidemment ce second niveau plus secret qui importe à Célina Murga. Enfin, du cinéma dans cette compète de besogneux de la belle image.
Plus fort encore, le Black Coal, Thin Ice du Chinois Diao Yinan. Je n’avais rien vu de lui mais il avait bonne réputation, parfaitement justifiée à la vue de ce nouveau film. Un polar à la sauce mandarine qui raconte la violence terrible de la société chinoise actuelle et qui n’est pas sans évoquer A Touch of Sin, le dernier Jia Zhang-ke. Un flic défroqué enquête sur deux affaires de meurtres à cinq ans de distance : chaque fois, on a découvert les morceaux de cadavres des victimes éparpillés façon puzzle. L’enquête amène notre héros vers une jeune femme sexy dont il tombe évidemment amoureux. Les figures du privé solitaire et de la femme fatale sont ici totalement refondues et revigorées au contact d’une Chine hivernale, grisâtre, écrabouillée entre la déréliction du communisme et les ravages du libéralisme. Tout cela est certes sombre, glauque, pousse-suicide, sauf que la mise en scène de Yinan est d’une puissance et d’une netteté de tous les instants. A chaque plan, quelque chose palpite, on est saisi, sans un instant de relâchement. Sujet déprimant mais film galvanisant, mon Ours d’or perso (mais je n’ai pas vu tous les films de la compète).
« Boyhood », pas si enthousiasmant
Ce n’est en tous cas pas Boyhood de Richard Linklater qui ferait un concurrent sérieux – selon moi du moins, car ce film très attendu par les festivaliers a été très applaudi en fin de projo. Je n’ai jamais compris l’enthousiasme de la critique américaine à l’endroit du cinéma de Linklater que j’ai toujours trouvé bavard et fadement auteuriste. Comme tout le monde, j’attendais Boyhood pour une raison très simple : le film a été tourné sur douze années, avec pour personnage central un garçon, filmé de 6 à 18 ans. Bref, un projet à la Truffaut-Doinel, mais ramassé en un seul film. Boyhood tient cet engagement et l’intérêt principal du film, le seul à vrai dire, consiste à observer ces personnages/acteurs grandir sous nos yeux et prendre douze ans en 2 heures 45. Nommons-les : Patricia Arquette, Ethan Hawkes, mais surtout les enfants, Ellar Coltrane et Lorelei Linklater (la fille du cinéaste, on suppose).
Hormis cette performance de jeu et de biologie, Boyhood est une chronique familiale qui reste toujours à la surface des choses et qui enquille les situations banales : divorce, déménagements, beaux-pères, changements d’école et de copains, premières fois diverses (sexe, sentiments, trahisons…). Pourquoi pas ? On peut faire de très beaux films avec des personnages ou situations banales (Truffaut, Rohmer, Bergman, Antonioni, Pialat et des dizaines d’autres l’ont amplement prouvé). Le problème avec Linklater, c’est qu’il écrit et filme le banal banalement. Pas une idée scénaristique originale, pas un plan de cinéma qui détonne, juste de la tragicomédie mollassonne, middle of the road, pas antipathique mais mille fois vue. Boyhood est plus proche de Lelouch ou de Plus Belle la vie que des 400 coups, de Gosses de Tokyo ou de A Nos amours. Bref, impossible de confondre Boyhood avec Boyz ‘n’ the hood. Mais vu le niveau de l’applaudimètre, on n’est pas à l’abri que l’Ours d’or 2014 soit décerné à ce consensuel mais peu sensuel soap opera.
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