Berlinale 3 – De l’Iranien exilé Rafi Pitts à Eugène Green, citoyen US qui a renié son pays, les diverses façons d’être – ou de ne pas être américain.
Etre ou ne pas être américain, c’est la question qui traverse Soy Nero (Compétition), le troisième long métrage de Rafi Pitts, cinéaste iranien exilé en Occident. On y suit l’itinéraire de Neo, un jeune Mexicain qui passe clandestinement la frontière pour rejoindre son frère à Los Angeles, puis qui s’engage dans l’armée et va combattre en Irak.
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Un éternel alien
Ce personnage passe donc de la condition de sans-papiers à celle de contrôleur armé d’une frontière avant d’être de nouveau ramené à son état ontologique d’étranger au sein même d’un corps de GI’s. Métaphore du statut d’exilé perpétuel, Nero passe sa vie à être dehors et dedans, exclu et inclus.
Lui-même dehors dedans, Rafi Pitts (qui réalisa jadis un beau portrait d’Abel Ferrara) en profite pour passer dans le cinéma américain de ses fantasmes de spectateur, changeant de genre à chaque séquence de son film (film de frontière, road movie, comédie bling bling, film de guerre…) avec un bonheur inégal. Si Soy nero passe par quelques digressions artificielles et dispensables, le film est à son meilleur et son plus beau quand il colle à son personnage et figure sa solitude d’éternel alien.
Genius, navet académique et poussiéreux
Etre américain ou pas, ce n’est pas le sujet mais la nature de Genius (Compétition) consacré à un certain Max Perkins, éditeur star à New York dans les années 40, mais réalisé par un Anglais vedette du théâtre, Michael Grandage, et joué par des stars du Commonwealth (les Anglais Jude Law et Colin Firth, l’Australienne Nicole Kidman). On ne s’étendra pas sur ce pudding brito-américain qui pose quelques vraies questions : comment un pareil navet académique et poussiéreux peut-il se retrouver en compète d’un grand festival international (à côté, Marie et Julien qui s’était huer à Cannes est un parangon de modernité) ? Et qu’est allée foutre dans cette galère amidonnée notre chère Nicole Kidman, à part de la figuration (et toucher un bon chèque, je l’espère pour elle) ? Et quel critique, quel spectateur peut encore désirer une telle idée vermoulue du cinéma où tout est vieillot, embaumé, mort, du récit au jeu des acteurs en passant par les décors et la photo ?
Eugène Green, échappé de la Barbarie
Il y a aussi un personnage d’éditeur dans Le Fils de Joseph (Forum) mais c’est peu dire qu’Eugène Green propose un cinéma autrement plus moderne et singulier (dans sa forme, car pour ce qui est du propos, Green est plutôt tourné vers les beautés anciennes quoique éternelles des arts). On reste aussi dans notre fil rouge de l’Amérique dehors dedans car si le Nero de Rafi Pitts et Rafi lui-même ont une envie d’Amérique, Eugène a au contraire renié son Amérique natale (qu’il nomme la Barbarie) pour devenir français et parler couramment notre langue (imparfait du subjonctif inclus), ainsi que l’italien ou le portugais.
Le Fils de Joseph est du Green chimiquement pur : intrigue filiale inspirée de l’Ancien Testament, satire désopilante du milieu littéraire parisien (grande scène du cocktail – “queue de coq” en français Green – où l’on décerne le prix Conlong et où l’on cause plus coucheries que littérature), plans épurés à la croisée de Bresson et d’Ozu, jeu antinaturaliste des acteurs pour une défense et illustration de la spiritualité de l’art contre la vulgarité du commerce tout puissant et du consumérisme.
Comme souvent avec Green, c’est réac mais surtout réjouissant car le passé que regrette Green n’est pas celui des mœurs rigides ou des inégalités mais celui du grand art, quand l’acte créateur était purement mystique et dénué de calculs vénaux.
Mathieu Amalric, Natacha Régnier, Fabrizio Rongione, Maria de Medeiros et le jeune Victor Ezenfis brillent en mixant leur personnalité avec le jeu blanc lui aussi bressonien ordonné par Green. Le cinéaste est assurément en dehors de l’Amérique mais aussi en dehors de tout et c’est précisément ce qui fait le prix de son travail.
Le fils de Joseph a reçu de bonnes critiques dans les “trade papers » hollywoodiens, tout comme le Quand on a 17 ans de Téchiné qui a fait l’unanimité de Variety au Hollywood Reporter en passant par Screen International. A mi-chemin de la Berlinale, les trois bibles du ciné-business mondial font le point et citent comme favoris provisoires de la Compète Jeff Nichols et son Midnight special, incursion dans le fantastique, Gianfranco Rosi et son Fire at Sea, docu sur les migrants de Lampedusa, et nos Hansen-Love et Téchiné nationaux. Seront-ils dehors ou dedans au moment du palmarès ?
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