Des sections parallèles excitantes, des ofni, des « films-Mercedes » et un palmarès correct pour une compétition globalement médiocre : bilan de la Berlinale 2014.
Pour une compétition globalement médiocre, le palmarès s’en tire correctement et reflète à une exception près les lignes de force de cette édition. L’Ours d’or couronne l’objet le plus puissant de la sélection, le film noir du Chinois Diao Yinan, Black coal, thin ice, dont on avait d’ailleurs fait notre favori (lire notre webrapport Berlinale 3). Le jury ne s’est pas trompé en primant ce film intense et tranchant dont le tableau saisissant d’une Chine brutale passant par certains codes du cinéma de genre rappelle un peu A Touch of Sin de Jia Zhang-ke.
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Ce triomphe est complété par l’Ours d’argent du meilleur acteur pour Liao Fan. Tous les Ours sonnent iao ? Non. L’Ours d’argent du Grand Prix du jury va au Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, ce qui procède d’une certaine logique historico-géographique : normal que ce film qui ressuscite l’esprit de Zweig et de Lubitsch soit couronné à Berlin.
L’éternel Alain Resnais décroche l’Ours d’argent Alfred Bauer, prix « qui ouvre de nouveaux horizons » au cinéma, savoureux paradoxe pour un cinéaste âgé de 91 ans. Richard Linklater remporte de son côté l’Ours d’argent du meilleur metteur en scène, un prix attendu pour ce feelgood movie qui a séduit une bonne part des festivaliers, mais pas vraiment l’auteur de ces lignes : si l’idée de tourner sur une période de douze années est intéressante en soi (on voit grandir les enfants et vieillir les adultes, leurs corps sont les marqueurs du temps fictionnel – et réel), Boyhood ne transcende pas ce concept en proposant une sorte de soap familial sympatoche mais très white middle class et surtout très banal, tant sur le plan du scénario que du filmage. C’est cette banalité naturaliste et consensuelle qui semble avoir plu.
Haru Kuroki est repartie au Japon avec l’Ours d’argent de la meilleure actrice pour The Little House de Yoji Yamada, Dietrich et Anna Bruggemann obtiennent l’Ours du meilleur scénario pour Chemin de croix ( réactions très partagées entre « superbe » et « atroce », a-t-on pu entendre), tandis que Zeng Jian confirme le triomphe de l’Asie en emportant l’Ours pour son travail de chef-op’ sur le Blind Massage de Lou Ye : une caméra à l’épaule qui joue de la subjectivité des non ou mal voyants en injectant des zones de flou et d’obscurité dans ses images… et qui ne nous a pas franchement convaincu. On notera un grand oublié de ce palmarès, La Tercera Orilla de l’Argentine Celina Murga : son style est sans doute trop subtil, trop elliptique, pas assez affirmatif et clairement lisible pour se frayer un chemin dans les tractations et compromis des grands jurys internationaux.
L’omission de Celina Murga est finalement symptomatique des options de Dieter Kosslick, directeur de la Berlinale, qui défend une idée du cinéma qui n’est pas la nôtre : il privilégie le sujet, si possible à haute teneur politique et/ou sociétale, et la qualité de production, de fabrication, au détriment de la novation esthétique et de la singularité cinématographique. D’où un paquet de « films-Mercedes », ces objets techniquement aussi bien finis qu’une voiture allemande mais très pauvres en teneur artistique et inventive (Jack de Edward Berger, La Voie de l’ennemi de Rachid Bouchareb, Inbetween worlds de Feo Aladag, Praia do futuro de Karim Ainouz…) et qui ne devraient pas figurer dans la sélection amiral d’un grand festival, d’autant que des auteurs tels que Sophie Fillières, Benjamin Eisenberg, Fruit Chan ou Guillaume Nicloux furent « relégués » au Panorama ou au Forum.
Mais faut-il parler de « relégation » alors que ces sections parallèles sont plus excitantes et riches que la compétition ? On y a vu des « ofni » comme L’Enlèvement de Michel Houellebecq (Nicloux), saisissant et comique portrait de l’écrivain en croisement de Sim et de Céline, ou The Second game de Corneliu Porumboiu (match de foot en différé de 1985, commentaires « en conditions du direct » 2013 du cinéaste et de son père qui était arbitre du match : simple et génial), on y a déniché d’excellents documentaire comme Casse de Nadège Trébal (réussite poétique et politique dans une décharge de voitures où devraient finir aussi les « films-Mercedes »), ou The Forest is like the mountain de Christiane Schmidt et Didier Guillain, regard renoirien sur un village kusturicien au fin fond de la Roumanie. Définitivement, la valeur cinématographique ajoutée de la Berlinale se mesure au Panorama et au Forum.
On a noté une dernière tendance souterraine de la Berlinale : la compète 2014 fut riche en films ou coproductions allemandes, pauvres en films ou productions françaises qui étaient plutôt reversées en sections parallèles ou séances spéciales. Le goût germanique, plutôt industriel, s’octroie la part du lion (ou plutôt de l’ours) au détriment du goût gaulois, plutôt artistique : c’est peut-être logique et de bonne guerre géo-politico-culturelle puisque les Allemands jouent là à domicile, comme une revanche de Astérix chez les Goths (laissons de côté les guerres de 1870, 14-18 et 39-45, oublions Séville 82), mais le cinéma vu comme un art y perd quelques plumes.
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