Aux côtés d’un cinéma qui se plonge avec plus ou moins de lourdeur dans les “grands sujets”, la Berlinale a également dévoilé une belle mélancomédie : « Maggie’s plan » de Rebecca Miller, portée par Greta Gerwig, Julianne Moore et Ethan Hawke.
La Berlinale a la réputation justifiée de privilégier dans ses choix de films la noblesse des sujets à l’invention formelle. On en a eu la confirmation ce lundi, dès le matin, avec Mort à Sarajevo (Compétition) du Bosniaque Danis Tanovic. Adapté d’une pièce de BHL, le film se déroule entièrement dans l’hôtel Europa de Sarajevo où ont lieu en même temps : un arrivage de chefs d’Etats et diplomates pour célébrer le 100e anniversaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand (qui préluda à la Première Guerre mondiale), une menace de grève du personnel pour non-paiement des salaires, le tournage d’une émission de télé sur le conflit récent qui mit fin à la Yougoslavie, une partie de poker avec alcool et strip-teaseuses entre les mafieux propriétaires de l’établissement…
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La foire aux “grands sujets”
Il ne s’agit plus d’un grand sujet mais d’une foire aux grands sujets : la Yougoslavie, l’Histoire, l’Europe, les conflits inter-ethniques, le XXe siècle, la corruption, ce qui fait beaucoup pour un seul film. Le cinéma parvient parfois à respirer, lors d’élégants travellings dans le labyrinthe de l’hôtel façon Shining, ou dans ce plan où une Bosniaque et un Serbe (sexy tous les deux) attendent silencieusement un ascenseur et où on ne sait pas durant ces longues secondes, s’ils vont finir par se rouler une pelle ou se mettre sur la gueule.
A côté de ces quelques moments inspirés, Mort à Sarajevo est empêtré dans la lourdeur de son discours, même si les dialogues sont parfois politiquement justes. Le symbole de cette embolie discursive est le personnage joué par Jacques Weber qui répète son discours, la théâtralité de la politique se superposant à celle du personnage et à celle de l’acteur. Au final, un film indigeste et impuissant sur l’impuissance politique.
Rebelote au gros sujet avec La Route d’Istanbul de Rachid Bouchareb (Panorama), qui raconte la soudaine conversion à l’islam et le départ en Syrie d’une jeune Belge de condition bourgeoise. Le réalisateur d’Indigènes se sort plutôt bien de ce matériau omniprésent dans l’actu. Plutôt que recopier en fiction les grandes lignes de ce qu’on voit à la télé ou lit dans les journaux, Bouchareb a opté pour un point de vue modeste et intime, celui de la mère de la candidate au jihad.
Le jihadisme, une faille générationnelle
Le film montre bien les étapes de ce qui se passe au sein de familles ordinaires, la fille qui se met à sécher les cours ou à prendre ses distances avec ses copines sans que la mère ne se rende compte de quoique ce soit. Puis le départ sans prévenir, la maman qui pense d’abord à une fugue ordinaire, puis qui apprend l’islamisation de sa fille par le commissaire local, le portable qui ne répond pas, puis les premiers échanges uniquement par sms, etc. Inconsolable mais obstinée, la mère finit par aller elle-même chercher sa progéniture en Syrie…
Bouchareb décrit avec précision et un certain degré de suspense le choc, la sidération et le chagrin qui s’emparent d’une famille, d’une mère, quand l’enfant entreprend ce parcours si difficile à comprendre et quasiment impossible à accepter. Il pointe finement que ce problème du jihadisme européen procède avant tout d’une faille générationnelle plutôt qu’ethnique ou religieuse (la mère croise des parents maghrébins confrontés au même problème qu’elle).
Le réalisateur n’a pas toujours la main légère quand il s’agit de filmer les pics émotionnels (trop de larmes et de gros plans de visage) mais son film est globalement tenu et prenant, porté par l’actrice belge Astrid Whettnal, remarquable. Il s’agit là peut-être du meilleur Bouchareb (avec Little Senegal), ce qui prouve qu’on peut aussi faire de bons films avec des sujets lourds et que le réalisateur est plus à l’aise avec des productions modestes qu’avec des superprod’ comme Indigènes ou Hors-la-loi.
La screwball comedy met dans le mille
La récréation des grands sujets est survenue avec Maggie’s plan de Rebecca Miller (Panorama), une screwball comédie contemporaine dans la lignée de Noah Baumbach. Le casting est magnifique (Greta Gerwig, Julianne Moore, Ethan Hawke, Bill Hader…) et porte à ébullition une comédie du remariage à trois, et même à six, puisque des enfants sont nés des deux lits.
Hawke passe donc de Moore à Gerwig et pulsion de retour, Gerwig est une candide à cheval sur l’éthique qui ne supporte pas de vivre dans le moindre mensonge (raison pour laquelle c’est elle-même qui repousse son mari dans les bras de son ex), alors que Moore est une intello féministe, dominatrice et bitchy à souhait.
Tout ce petit monde qui ne sait plus où il habite sentimentalement est par ailleurs ultra-cultivé, hyper-diplômé : ils sont profs d’université et peuvent citer Slavoj Zizek dans le texte (comme dans le film de Mia), ce qui redouble la puissance humoristique du film. Les échanges entre les deux femmes rivales sont sans doute les scènes les plus drôles et les mieux écrites du film
Les personnages secondaires sont tout aussi bien dessinés (un meilleur ami qui dit ses quatre vérités, un donneur de sperme qui vit de l’élevage et du commerce de cornichons bio…) et on entend une reprise merveilleusement drôle, folk et entrainante du Dancing in the Dark de notre homme Bruce. A côté d’un cinéma hyper sérieux qui plisse le front d’inquiétude et se regarde parfois réfléchir, cette mélancomédie légère et profonde de Rebecca Miller a mis dans le mille.
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