Mise en scène discrète et lumineuse, sujet douloureux : le destin des Kurdes en exil. Beko mérite le détour. Beko est le premier film de l’histoire du cinéma tourné en langue kurde par un réalisateur kurde. Sur un sujet particulièrement douloureux, Nizamettin Aric a réussi un travail aussi élégant dans la forme que dans le […]
Mise en scène discrète et lumineuse, sujet douloureux : le destin des Kurdes en exil. Beko mérite le détour.
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Beko est le premier film de l’histoire du cinéma tourné en langue kurde par un réalisateur kurde. Sur un sujet particulièrement douloureux, Nizamettin Aric a réussi un travail aussi élégant dans la forme que dans le fond. Sujet douloureux, comme le destin du peuple kurde. En effet, le Kurdistan n’est pas un Etat mais une nation dont la population est morcelée entre la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie. Et chacun de ces Etats pratique une politique d’assimilation forcée, d’où des conflits pouvant aller jusqu’à la lutte armée. Pour donner une idée de l’absurdité de cette situation, Nizamettin Aric a imaginé d’articuler son intrigue autour de deux frères, Beko et Cemal, qui vivent dans un camp kurde en Turquie. Mais Cemal s’est enfui et l’armée turque le punit en arrêtant Beko. Qui s’échappe à son tour et part à la recherche de son frère pendant tout le reste du film. Cette quête du frère aux accents mythologiques va amener Beko à faire toute une série de rencontres déterminantes. Jusqu’au retournement final, modèle de simplicité et de force narrative. Au début du film, Nizamettin Aric montre Beko écrivant à son frère depuis une ville d’Allemagne où l’on comprend qu’il a fini par émigrer. Le va-et-vient constant du scénario entre le futur européen de Beko et son passé turc met en perspective le déracinement perpétuel de son peuple. Et il n’y a pas photo : aux tours de béton grisâtres, le réalisateur confronte des paysages d’Asie occidentale de toute beauté. Mais pas question de s’engourdir dans la contemplation du décor ou de trop s’apitoyer sur le sort du peuple kurde. Le scénario, très sec, évite vaillamment le pathos et la caméra n’est jamais complaisante, même dans une scène de bombardement au gaz moutarde d’un village kurde par des avions turcs. La discrétion a tellement présidé à l’écriture et à la mise en scène qu’on est souvent cueilli par un petit élément du dialogue ou du décor qui renvoie à la cruauté de la situation. Ainsi au sein des camps, les gestes des femmes lorsqu’elles cousent ou cuisinent calquent-ils, faute de moyens, ceux de leurs ancêtres. On pourrait aussi bien imaginer qu’il s’agit d’une scène du siècle dernier. Or, au détour d’un dialogue, le nom de Saddam Hussein se fait entendre. Un mot, un regard. Pas plus. Voilà le talent de Nizamettin Aric : sa responsabilité de porte-parole n’écrase jamais ses partis pris de metteur en scène. Ce qui fait qu’au-delà de tout le tragique charrié par son sujet, Beko est un film doux et tendre. Une leçon de savoir-vivre ? Nizamettin Aric n’a pas cette prétention, lui qui met cette phrase en exergue de son film : « Etre réfugié est un destin normal pour un Kurde. »
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