Un an après Rocky, c’est au tour de John Rambo de signer cette semaine son retour. L’occasion de jeter un regard rétrospectif sur l’ensemble de la saga, vaste foire à symptômes de l’Amérique, de Reagan à Bush.
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John Rambo naît d’abord en 1972 sous la plume de David Morrell, auteur américain de romans populaires. Son incarnation au cinéma dans Rambo : Premier Sang (premier du nom) n’est pas très éloignée du papier. C’est un vétéran de la Guerre du Vietnam qui ne trouve pas, plus sa place dans la société américaine à son retour. Il incarne la mauvaise conscience US quand aux boys, traumatisé, méprisé par un pays qui ne sait que faire de lui.
Le script tiré du livre attire d’abord du beau monde : Steve McQueen est intéressé; Kirk Douglas signe pour incarner le rôle du paternel colonel Trautmann, mais se retire quand il comprend que la fin du film différera de celle du livre (où Rambo meurt). Sylvester Stallone, auréolé du succès de Rocky, s’empare du rôle, tiré du même moule que son boxeur de carcasses de bœuf : un héros (de classe) populaire, mais envers du Rêve Américain, dont Rocky serait le visage méritant, lumineux, en sainte sueur. Il intervient sur le scénario, veillant à rendre Rambo plus sympathique. Résultat : on ne compte qu’un mort dans ce premier épisode, film de survie champêtre à la Délivrance où le personnage refait dans sa tête et contre toute une petite ville sa propre guerre, désespérée et inutile.
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Rambo suit précisément les hauts et bas de la psyché de son pays. Rambo : Premier Sang date de 1982, apogée de la contrition US quand au péché vietnamien mais aussi de la prise d’otages américains en Iran (79-81). Le ton y est aigre. Rambo 2 : La Mission (1985) sort en plein durcissement de la Guerre Froide, imposant le cliché guignolesque du va-t-en-guerre musculeux, interventionniste, bandeau rouge autour de la tête. Stallone, alors en plein délire eighties, y refait et gagne la Guerre du Vietnam en allant délivrer des prisonniers de guerre. Il y déchire son t-shirt et tue 69 personnes. Il est une créature reaganienne, qui met en doute l’efficacité des gouvernements et ne peut compter que sur lui-même : « le gouvernement n’est pas la solution à nos problèmes, c’est le gouvernement qui est le problème », déclare Reagan lors de son premier discours d’investiture. Le président, très cinéphile, déclare que le film lui aura inspiré quoi faire à la prochaine crise politique.
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Rambo 3 (1988) permet cette fois à son héros de botter les fesses aux Soviétiques, mais en Afghanistan. Il s’allie à la résistance locale, aux futurs Massoud et talibans, déchire son t-shirt et décime 132 personnes (un record à l’époque selon Le Livre des Records). Le film est en retard : si le faiseur trop eighties Russell Mulcahy (Highlander, la vidéographie de Duran Duran) est débarqué du tournage, Rambo 3 arrive sur les écrans alors que l’Armée Rouge s’est retirée d’Afghanistan. Surtout, le film est déjà daté alors que l’Action Man et maître de la gestion de l’espace pyrotechnique John McTiernan ainsi que l’ironique Bruce Willis de Piège de Cristal renvoie le pas drôle Sly et ses flèches dans sa caverne afghane.
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Has been dans les années 90 et 00, Stallone devine néanmoins que logiquement, après le retour des années 70 au cinéma, l’heure sonnerait aussi pour lui. Il va donc se régénérer dans sa propre mythologie, signer une touchante conclusion aux Rocky. John Rambo, et non pas Rambo 4 (le prénom est là pour signifier l’humanisation du personnage – même si c’est un peu raté), est donc une synthèse et une conclusion. Stallone écarte l’idée d’affronter le terrorisme islamiste (trop compliqué) pour affronter la junte birmane – d’après les conseils du magazine pour mercenaires Soldier of Fortune, à qui il a candidement demandé quel était le conflit le plus sanglant et le plus anonyme du moment. Sly ne déchire pas son t-shirt et tue 236 birmans. Etonnamment très violent, jusqu’à évoquer les pastiches italiens ou philippins de Rambo dans les années 80, le film se déleste de toute lecture patriotique pour faire de Stallone une sorte d’équivalent bouffi de Jack Bauer : un dernier recours nietzschéen, qui ne sait que tuer. Comme dans Rocky Balboa, c’est à nouveau le corps gonflé, énorme, les paupières encore plus tombantes de Sly qui est l’enjeu du film. Sly-Rambo n’y fait que revendiquer le droit d’exister dans un paysage hollywoodien/américain. Le film conclurait en principe la série. Mais quand on voit Rambo revenir à la ferme paternelle, on ne serait pas surpris que ce ranch trop propre cache quelque odieux narco-trafiquant sud-américain.