Le documentariste de Kurt and Courtney se lance dans la fiction et propose sa vision, nuancée, du conflit irakien.
Une bonne fiction de gauche, portée par une diversité de points de vue, de la nuance, de l’épaisseur humaine, évitant le manichéisme qui grève souvent ce genre. Battle for Haditha revient sur un épisode de la guerre en Irak : un attentat contre un convoi de blindés américain dans la ville d’Haditha, où un char sauta sur une bombe, et les représailles qui s’ensuivirent immédiatement, se soldant par le massacre de familles de civils du voisinage qui n’avaient rien à voir avec l’attentat. On connaissait Nick Broomfield pour ses documentaires sur Kurt Cobain et Courtney Love ou sur les rappeurs Biggie et Tupac. Des docus montés comme des récits de fiction. Battle for Haditha adopte une démarche à la fois inverse et similaire : c’est une fiction dont le matériau et le style sont d’essence documentaire. Le film mélange scènes dialoguées et inventées par les auteurs, récit fondé sur des faits réels, filmage de type reportage de guerre, acteurs professionnels et acteurs amateurs jouant quasiment leur propre rôle (un vrai marine joue le rôle du soldat principal, des exilés irakiens jouent divers membres de la famille de civils). La principale qualité du film est de croiser les points de vue sur un même événement et une même unité de temps, afin d’aboutir à une complexité qui échappe parfois à la loupe grossissante et simplificatrice des médias : on épouse donc alternativement le point de vue des militaires américains qui souffrent du mal du pays et s’interrogent sur le sens de leur mission, celui des terroristes qui posent la bombe parce qu’ils ne supportent plus l’occupation de leur pays et l’infériorisation de leur peuple, et celui d’une famille qui vit paisiblement et se retrouve coincée mortellement entre le marteau de l’occupant et l’enclume de la résistance. Battle for Haditha montre bien comment les protagonistes qui vivent ce conflit sur le terrain en première ligne sont, à un degré ou un autre, des victimes, et que les principaux responsables de cette situation, non nommés par le film mais désignés en creux, sont les décideurs de Washington. Une autre qualité de ce film est le synchronisme entre son sujet et son mode de production et de tournage, véritable partenariat arabo-anglo-saxon : absence de stars, présence d’acteurs amateurs qui ont vécu le conflit, tournage en équipe légère en immersion dans la population et les rues d’une ville jordanienne… En revanche, on se serait bien passé d’une musique lyrico-envahissante qui surligne grossièrement et inutilement les moments dramatiques du récit. Une étrange concession à l’un des pires travers hollywoodiens dans un film par ailleurs irréprochable sur le triple plan esthétique, éthique et politique. Une bonne fiction de gauche, non parce qu’elle veut transmettre un point de vue idéologique précis ou une thèse géopolitique d’ampleur sur les raisons du conflit, mais par sa vision incarnée et nuancée du conflit irakien à travers le ciblage modeste d’un des mille événements quotidiens qui le constituent, comme un long reportage not embedded.
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