D’où vient ce gamin, peau noire, cheveux crépus, qui, encombré d’un lourd carton, court le long de la mer pour fuir la police ? D’une favela de Rio ? Des îles du Cap-Vert, échappé de la Casa de lava de Pedro Costa ? Le profond dépaysement qu’inspire l’entame de Bashir, film iranien tourné au sud […]
D’où vient ce gamin, peau noire, cheveux crépus, qui, encombré d’un lourd carton, court le long de la mer pour fuir la police ? D’une favela de Rio ? Des îles du Cap-Vert, échappé de la Casa de lava de Pedro Costa ? Le profond dépaysement qu’inspire l’entame de Bashir, film iranien tourné au sud du pays, au bord du golfe Persique, région délaissée par cette cinématographie, joue pleinement en sa faveur, flattant notre désir de terra nova et cette envie, aujourd’hui rarement assouvie, de voir nos repères malmenés, déjoués, pris à contre-pied. Comme son personnage, embrigadé dans une bande de trafiquants de cigarettes, Ahmad Ramezanzadeh est un peu contrebandier. Sous couvert d’un film pour enfants archétype iranien du film de genre, mais un genre, de par la participation active du ministère de l’Education à la production cinématographique, institutionnalisé , il tisse un récit de voyage immobile, plongée dans l’âme kurde, élégie à un peuple toujours muselé, en Turquie, en Iran, ou ailleurs. Sur la plage, Bashir, notre John Mohune persan, rencontre un étranger, un loner, diminué par le deuil et la guerre irano-irakienne. Un ascète qui parfois empoigne l’objet de la fascination du garçon et la palpitation interne du film : le tenbûr, somptueux instrument à cordes, extension du domaine du luth. « Cette machine tue les fascistes », avertissait le flanc de la guitare de Woody Guthrie. Tout comme le tenbûr cimente l’identité d’un peuple. Qui a vu des images des concerts clandestins de l’idole kurde Sivan Perwer, haranguant, un flingue dans la ceinture, ses compagnons d’armes les peshmergas, saura saisir la puissance de feu de l’instrument, à faire pâlir tout AK 47. Bashir la restitue parfois. Pour conjurer l’oppression et s’affirmer fier, des accords plaqués telles des rafales de mémoire, des déflagrations d’Histoire non écrite, transmise par le biais d’une époustouflante musicalité. Quand la caméra s’accorde à notre ouïe, s’attache aux notes pincées par l’étranger musicien et s’en soûle, le film abandonne sa narration un peu sage pour accueillir les réminiscences d’un bonheur passé, étranges plans à l’origine incertaine, chargés d’errance mais vecteurs d’espoir. Puis il reprend son cours, afin d’accompagner l’enfant dans son apprentissage et faire de Bashir un nouveau passeur. Pour lui comme pour nous, l’exercice a été profitable.