Adaptée d’un fait divers, la plongée, inquiétante et forte, dans la folie de trois jeunes filles criminelles.
Isild Le Besco touche les fonds. Il y a deux mois, dans le dernier film, de Benoît Jacquot, elle incarnait une jeune bourgeoise qu’un vagabond, par le recours à l’hypnose et au magnétisme animal, entraînait dans une vertigineuse involution. Rendue à l’état de bête, elle se traînait au sol, marchait à quatre pattes en bavant, se brûlait le corps ou baisait parmi des ronces pour obéir à des besoins sur lesquels elle n’avait plus aucune prise.
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Le film s’appelait Au fond des bois. Son second long métrage de réalisatrice s’appelle Bas-fonds. Si elle n’y joue aucun rôle à l’écran, il explore certains états de régression, un repli de l’être sur quelques fonctions vitales, satisfaites de la façon la plus primaire qui soit : traîner toute la journée avachie dans un lit sale, puis manger de la junk-food avec les mains, baiser, puis tuer, à la fois pour survivre – par le vol – mais aussi pour assouvir une violence pulsionnelle sans fond.
Dans Au fond des bois, Benoît Jacquot assortissait ce retour au stade de la bête chez les jeunes filles de tout un dispositif critique hérité des sciences humaines (en premier lieu, psychanalytique). L’étrangeté du cinéma d’Isild Le Besco est de traiter la question avec au contraire un minimum de distance. Dans son moyen métrage remarqué, Demi-tarif, puis son premier long, Charly, l’insularité (d’enfants abandonnées par leurs parents, de destitués sociaux) était filmée de l’intérieur, presque comme si un des personnages faisait le film, ou que la personne qui filmait avait le choix d’une totale immersion dans le monde qu’elle filmait.
La forme de Bas-fonds, très travaillée (scope, picturalité, scénographie un peu théâtrale des déplacements) dit en revanche la volonté de se déprendre de ce qui est montré, d’adopter plutôt une posture d’observation. Mais la puissance du film est de résister au recul que prend la mise en scène. Même si la forme est très concertée, il y a quelque chose de viscéral dans la fascination de la réalisatrice pour son sujet, un goût de la contiguïté, une façon d’écraser le film au niveau des personnages véritablement fascinants.
A cette apnée dans la violence et la folie, les deux amantes de ce trio finalement échappent, mais par des voies contraires. L’une par le mysticisme, l’autre en acceptant une vie dure, faite de contraintes (boulot harassant, quotidien triste…). Aucune de ces issues n’est montrée comme une délivrance. Pour la première, c’est plutot le déni du réel, le goût des affects extrêmes qui se prolonge, transféré sur un autre objet (la foi). Pour l’autre, qui a provoqué cet arrêt net en dénonçant ses camarades, c’est un deuil sans fin qui semble se mettre en place. Entretemps, le film aura campé avec une rare puissance expressive l’intensité d’une coupure volontaire – avec la société, la loi, la raison, les hommes. Jean-Marc Lalanne
Bas-fonds d’Isild Le Besco, avec Valérie Nataf, Ginger Roman (Fr., 2010, 1 h 08)
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