Une non-suite étrange au film d’Abel Ferrara. Un faux polar foutraque mais surtout fou, par le légendaire Werner Herzog.
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Bad Lieutenant – Escale à La Nouvelle-Orléans est une curieuse étape pour le baroudeur Werner Herzog. L’auteur d’Aguirre évitait naguère les sirènes US, son dernier tournage là-bas remontant à 1977 : l’halluciné Stroszek – qui, selon la légende, fut le dernier film regardé par Ian Curtis avant son suicide – allait de Berlin au Wisconsin. Et se crashait dans le rêve américain, sur les ultimes images d’un poulet dansant la gigue.
Deux cinéastes contemporains d’Herzog, de la nouvelle vague allemande, acclimataient le tropisme américain d’une génération biberonnée tôt aux films hollywoodiens après-guerre : Wenders cartographiait sur place mais avec distance le road-movie (Paris, Texas), tandis que Fassbinder se refaisait, sans bouger, son Hollywood glam-froid dans sa filmo.
Pour Herzog, les Etats-Unis n’étaient peut-être pas assez grands, ou loin. Filmer ses fétiches que sont la démence, le chaos ou les expériences très limite passe par les tropiques, la jungle (Fitzcarraldo, Rescue Dawn) ou l’Antarctique (avec Encounters at the End of the World, documentaire sur une base scientifique dans l’Antarctique).
Ce Bad Lieutenant avait tout de la commande opportuniste pour capitaliser sur le mystico-sulfureux polar d’Abel Ferrara. Et il y a Nicolas Cage, star un brin perdue ces temps-ci.
De l’original reste le concept de Terence McDonagh, flic pourri vaguement en quête de rédemption : il sévit à La Nouvelle-Orléans d’après l’ouragan Katrina, ploie sous les dettes de jeu et l’addiction, a comme compagne une prostituée (Eva Mendes) et enquête, ici, sur le massacre d’immigrants africains. Herzog déclare n’avoir jamais vu le Bad Lieutenant de Ferrara, ni aucun de ses films.
“Je ne sais même pas qui est Ferrara”, avouait-il, perfidement, après que celui-ci eut souhaité aux instigateurs de ce non-remake de “brûler en enfer”.
La coquille vide annoncée est en fait riche et trouve son identité. Ce qui intéresse Herzog est de filmer La Nouvelle-Orléans livrée à la nature, à l’état sauvage : c’est cette scène saisissante d’un détenu prisonnier d’une cellule comme inondée après le déluge ; ce sont surtout les images déconcertantes de serpents, d’iguanes (que McDonagh est seul à voir dans ses délires) ou un crash de voiture vu à travers les yeux d’un alligator.
Herzog convoque la partie reptilienne, primitive, du cerveau pour dépeindre, hors regard documentaire, une ville désolée et lâchée à tous les appétits et instincts. “J’essaie de trouver une vérité profonde, une extase de vérité, et non une vérité d’arrangement”, nous déclarait-il l’année dernière.
Présentant son film au Festival de Thessalonique, le cinéaste déclarait à la salle : “Si vous voulez rire, riez.” C’est la seule attitude tenable, couleur jaune et sarcastique, face aux visions lézardant le film et à la manière dont Herzog démantèle le polar attendu.
Un je-m’en-foutisme de surface qui rappelle la manière dont Fassbinder expédiait les intrigues de ses premiers faux films noirs, comme L’amour est plus froid que la mort.
Mais dans ce climat de bad trip, le script et son deus ex machina final, qui liquide toutes les pistes dans un hilarant plan-séquence, respirent l’absurdité la plus réjouissante.
Herzog renoue, à sa façon, via sa pâte folle, avec les fins apocalyptiques des néo-films noirs seventies (tels Chinatown ou Taxi Driver). Si bien qu’il n’a presque pas besoin d’invoquer le folklore bayou-vaudou pour distiller la magie noire. “Le reste du monde est bizarre et excentrique, mais pas moi : je suis sain d’esprit”, ironisait-il pendant le dernier Festival de Berlin, dont il présidait le jury.
Quand à Cage, on parlera pour une fois de l’acteur. Il trouve en Herzog le bon dompteur pour dresser un jeu borderline, déconnecté des productions mainstream qu’il hante.
Voûté non par la culpabilité mais parce qu’il a très mal au dos, comme engoncé dans des vêtements trop grands, son personnage est à la fois Nosferatu, l’inspecteur Harry et Droopy. Cette bipolarité en roue libre, devenue sac à tics chez Cage, renvoie ici aux performances de l’acteur et ennemi favori d’Herzog, Klaus Kinski : elle sert un film drôlement délétère (grande scène où Cage torture une dame âgée), où comme dans Stroszek il est aussi question de danse dans un passage mémorable.
Et plus largement de celle, façon transe, entre Cage et Herzog. Le terme clinique existe : “folie à deux”.
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