Il faudra bien l’écrire un jour, l’histoire porcine du cinéma, de Murnau (on oublie trop souvent que le plus beau gros plan de L’Aurore, donc du monde, est une apothéose du groin) à Pasolini, de Disney à Eustache. Babe sera donc un post-cochon pour l’ère du tout-image, tant chaque époque n’a que les porcs qu’elle […]
Il faudra bien l’écrire un jour, l’histoire porcine du cinéma, de Murnau (on oublie trop souvent que le plus beau gros plan de L’Aurore, donc du monde, est une apothéose du groin) à Pasolini, de Disney à Eustache. Babe sera donc un post-cochon pour l’ère du tout-image, tant chaque époque n’a que les porcs qu’elle mérite. Evidemment, on est loin des leçons du cinéma moderne : là où Eustache commençait par montrer l’intégrité de son Cochon avant d’en suivre la métamorphose en saucisse et boudin, le découpage du film épousant celui de son héros, Babe construit sa bête de toutes pièces, et de manière fort peu bazinienne, à coups de raccords truqués et d’images numérisées qui ont certes moins de grâce que l’héroïque patience qui anime un Gromit. Le miracle, c’est que tous ces cochons mis bout à bout aient fini par faire exister un personnage, dont le roman d’apprentissage (tu seras un chien, mon porc), par-delà l’anthropomorphisme systématique et les chromos façon Norman Rockwell rustique, constituait une fable d’autant plus efficace que l’enjeu immédiat en était la survie.
Mais passé le happy-end, comment donner une suite à ce récit sans en noyer l’exemplaire simplicité dans la surenchère ? En faisant connaître à Babe, seul héros australien depuis Mad Max, le côté obscur de la bauge : rien de moins que le monde tout entier. Mais surtout en en faisant un personnage marqué : comme dans les bons westerns, le héros a une faute à expier, bien plus grave que ses gaffes d’antan. Et il doit quitter le territoire familier pour devenir, histoire vieille comme le cinéma, un inconnu dans la Ville. Ainsi déraciné, le cochon perd sa valeur d’usage pour devenir figure. Et il fait l’apprentissage du mal ; la mort rôde, plus menaçante qu’un simple devenir-charcuterie, et dans ce monde sans repères règne une duplicité maléfique, loin de la transparence de la ferme ou de la double nature inoffensive de Babe. Lequel, coupé de son troupeau, est condamné à rejouer Une Vie de chien, au milieu d’un bestiaire proliférant qui rappelle certains bons Disney. S’il s’en sort bien (et le film aussi, les quelques lourdeurs étant réservées aux scènes avec humains), nul doute qu’il se ressentira de ce passage du négatif. A quand le troisième moment de cette dialectique suidée ?
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