Schlöndorff adapte Brecht mais réussit surtout un fascinant portrait de son acteur, qui n’est autre que Fassbinder. Un inédit de 1969.
Réalisé pour la télévision allemande en 1969 et inédit jusqu’ici au cinéma, Baal est excitant comme un vieux tube rock destiné au hit-parade, mais que personne n’aurait écouté. Doux rêve de notre époque riche en exhumations, où les archivistes se font chercheurs de trésors. Baal n’aurait pu être qu’un mauvais téléfilm, et une adaptation littéraire de plus dans la filmographie du vieux spécialiste Volker Schlöndorff (Un amour de Swann), mais ça ne l’empêche pas d’être un bon film.
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Il est devenu avec le temps ce que sans doute il voulait être : le document-fétiche d’une époque, l’Allemagne des années 60-70, et de son poète maudit Rainer Werner Fassbinder, dans le rôle-titre. Baal, écrite en 1919 par le jeune Bertolt Brecht, est sa première pièce et le coup d’envoi de son théâtre épique. Le poète Baal proclame son désespoir souverain contre le désespoir soumis des autres, il trahit l’amour, l’amitié, l’argent, et déclame contre toute dignité humaine, en l’identifiant au mensonge. Il salit sa propre poésie, en refusant d’en être l’auteur. La grande Nature dont il se réclame n’a d’autre caractère que destructeur.
Quand le jeune Fassbinder joue Baal pour Schlöndorff, il a déjà monté plusieurs pièces avec sa troupe de l’Antiteater, et signé des premiers films froids comme la mort, qui emportent l’influence de Brecht vers la cruauté en milieu capitaliste. Si Brecht fera ensuite de son théâtre un signe vers la libération collective, et de Baal l’impasse de l’individu asocial dans une société asociale, Fassbinder dans son œuvre a renversé cela dès le départ : il cherche dans cette société asociale les signes d’une impossible libération individuelle.
En 1969 en RFA, on ne pouvait donc qu’en rester à l’état Baal, à l’impasse d’une ivresse qui est toujours déjà gueule de bois ? Le Baal de Schlöndorff nous parvient comme le témoignage fasciné de cette fatalité, avec sa caméra ivre qui traque des personnages fuyant le cadre. Notre propre tournis aujourd’hui s’y excite, comme du vieux tube qui attendait d’être aimé. L’idée de tout foutre en l’air continue pour un temps de nous consoler.
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