En France, depuis les années 90 et les premières uvres de Bruno Podalydès, Arnaud Desplechin ou les frères Larrieu, le moyen métrage est préféré au court. Rencontre avec Axelle Ropert et Arnaud Simon, auteurs de grands moyens.
Pendant la guerre, le célèbre producteur Pierre Braunberger se cache dans le Lot. Un jour, sur une route, alors qu’il est parti rejoindre sa maîtresse, l’approche d’une colonne allemande le contraint à se réfugier sur une île. Contraint à l’inaction, il se perd dans ses rêveries et se rappelle un film qu’il a produit quelques années plus tôt, dont il avait interrompu le tournage sur un coup de tête idiot et qui est resté inachevé. Reconstituant in petto les rushes existants, il lui apparaît soudain qu’il ne manque rien pour que le film tienne debout. A la Libération, il fait monter le film : Partie de campagne de Jean Renoir, qui dure 40 minutes, est né ainsi.
Cette histoire illustre ce que fut longtemps le moyen métrage (un film dont la durée est comprise entre 30 minutes et une heure) depuis l’avènement du parlant : un long métrage inachevé ou une tentative inaboutie de tirer un court métrage vers le long, en tout cas quelque chose de bâtard. Or, depuis une quinzaine d’années, le moyen métrage est en train, en France et exclusivement en France, d’acquérir une identité en tant que tel. Au début des années 90, les premiers moyens à remporter un succès en salle sont La Vie des morts d’Arnaud Desplechin et Versailles Rive gauche de Bruno Podalydès, alors totalement inconnus.
A la fin des années 90, Thomas Ordonneau et sa maison de distribution, Shellac, lancent une collection baptisée Décadrage, grâce à laquelle seront découvertes les premières uvres d’Alain Guiraudie (Du soleil pour les gueux, Ce vieux rêve qui bouge), Yves Caumon (La Beauté du monde), Emmanuel Mouret (Promène-toi donc tout nu), Philippe Ramos (L’Arche de Noé), Emmanuel Bourdieu (Candidature) ou Arnaud et Jean-Marie Larrieu (La Brèche de Roland). D’autres bons films de moyen métrage sortent en dehors de Décadrage, comme Demi-tarif, la première réalisation remarquée d’Isild Le Besco. Supplantant le court, le moyen apparaît de plus en plus comme la première étape avant le long métrage.
C’est en 2004 que naît le premier festival uniquement consacré au moyen métrage, celui de Brive, en Corrèze. En 2005, Décadrage sort quatre autres films, remarqués eux aussi : La Visite de Nicolas Guicheteau, Blonde et brune de Christine Dory, Mystification ou l’Histoire des portraits de Sandrine Rinaldi, et le magnifique La Peau trouée de Julien Samani (grand prix à Brive). C’est dans cette collection que sortent aujourd’hui Etoile violette d’Axelle Ropert et Un Camion en réparation d’Arnaud Simon (lire p. 46).
Axelle Ropert n’est pas tout à fait une inconnue : elle est l’un des piliers critiques (et corédactrice en chef) de La Lettre du cinéma, et la scénariste attitrée de Serge Bozon, notamment sur Mods (encore un moyen !). Arnaud Simon, lui, fut longtemps comédien, beaucoup de théâtre, un peu de cinéma (L’Age des possibles de Pascale Ferran et Laissons Lucie faire d’Emmanuel Mouret).
Ces metteurs en scène naissants choisissent-ils consciemment de réaliser un moyen métrage, ou cette durée s’est-elle imposée à eux ? « J’ai écrit l’histoire que j’avais envie de raconter, explique Arnaud Simon. Il s’est trouvé que le film durait une heure. Je ne me suis pas du tout soucié du format, il s’est imposé. On n’allait pas rajouter pour rajouter. Cela dit, j’ai besoin d’un temps et d’une durée, de scènes qui existent. J’ai toujours un peu de mal avec le court, même s’il existe des exceptions. Il suffit parfois d’un plan pour faire exister les choses. »
Pour Axelle Ropert, au contraire, la volonté fut consciente : « Je ne voulais pas réaliser un court métrage, qui est pour moi un genre piégé. Dans le pire des cas, c’est trois minutes et une blague à la fin ; dans le meilleur, c’est une nouvelle. Je pense qu’on ne peut pas faire un film digne de ce nom en dessous de quarante minutes. Par ailleurs, il m’était impossible de réaliser
un long directement. Le moyen métrage induit un type d’histoire particulier. Il permet d’un côté d’avoir une vraie durée cinématographique, et de l’autre oblige à une concision que ne permet pas le long. Comme Jean-Claude Biette, je pense qu’au lieu de produire 500 000 courts métrages par an, on ferait mieux de produire 500 000 premiers films de long métrage. Aujourd’hui, je suis contente d’avoir réalisé un moyen, mais je ne réitérerai pas l’opération, je veux passer au long, un vrai long : pourquoi pas trois heures ? »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}