Réalisé par les frères Russo, l’échelon cinématographique le plus ambitieux à ce jour de l’univers étendu Marvel s’offre comme une forme curieusement anémiée, rehaussée par des choix dramatiques inattendus.
Cette critique contient le moins de révélations possible sur l’intrigue d’Avengers : Infinity War.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Depuis les événements fratricides de Captain America : Civil War, les Avengers se sont séparés. Dans le même temps, leur univers cinématographique s’est ouvert à de nouveaux horizons, africain (Black Panther), magicien (Docteur Strange), pop (Thor : Ragnarok) ou adolescent (Spiderman : Homecoming). Des explorations aux fortunes diverses qui ont eu le mérite d’élargir la palette de teintes d’un genre en dangereuse voie d’hypertrophie.
Conçu avec sa vingtaine de héros à l’écran comme le crossover le plus ambitieux de la franchise, Infinity War a comme enjeux de reproduire le coup d’éclat du premier Avengers, de faire oublier la déception du deuxième, de jongler avec un casting encore plus vaste que celui de Civil War et de faire enfin entrer le grand méchant Thanos en action. Le Titan fou, qui œuvrait jusqu’ici en coulisse, s’est mis en tête d’éradiquer la moitié de l’univers pour sauver ses peuples de la surpopulation et des désastres écologiques. Pour cela, il tente de mettre la main sur les six Pierres d’Infinité, puissants artefacts accordant à leur porteur un pouvoir illimité.
Copié, collé et prêt-à-visionner ?
Hormis quelques combinaisons inédites de personnages, souvent propices à un choc des egos, et un savant saupoudrage de grigris, caméos et autres easter eggs propres à ravir les lecteurs des comics, les frères cinéastes Russo peinent à travailler des formes nouvelles et à insuffler de la singularité à leur édifice. Déjà aux commandes de deux Captain America, ils en reprennent la nervosité et le fonctionnement heurté, bondissant comme sans accroche d’un lieu, d’un personnage ou d’un affrontement à l’autre. Si leur cahier des charges esthétique imposait une reprise chorale des imageries propres à chacun des héros, les ponctions se réduisent à la portion congrue : bus scolaire pour Spiderman, planètes déroutantes pour les Gardiens, arme mythologique pour Thor.
À défaut d’originalité, c’est tout un pan de pop culture qui s’agrège à l’édifice, dans son ambition comme dans ses figurations. D’un côté, Infinity War lorgne avec évidence vers L’Empire contre-attaque (et plus récemment Les Derniers Jedi), ces épisodes de transition à la flamboyance amère et aux relents tragiques. De l’autre, il rejoue de manière quasi-mimétique les grandes batailles rangées du Seigneur des Anneaux ou de Game of Thrones.
L’inattendue légèreté d’une forme télé
Si le projet risque constamment l’asphyxie dans la toile de ses personnages et intrigues, il s’en extrait par une mise en scène à la légèreté bienvenue. Filmées à plusieurs caméras, à l’épaule et en longues focales, les séquences quittent les ornières emphatiques souvent dédiées au genre pour s’épanouir dans une forme plus télévisuelle. L’intrigue se développe quant à elle suivant une arborescence éprouvée dans les séries télé (on pense aux récents Defenders), et semble souvent s’abandonner à ses personnages au détriment de l’intrigue. Étonnante façon de jongler avec le plus grand nombre de super-héros jamais rassemblé sur le grand écran selon les règles du petit !
Mais le véritable centre magnétique d’Infinity War se révèle être son antagoniste principal, d’ordinaire le point faible des productions Marvel. Tyran fou et père démoniaque, Thanos, interprété en motion capture par Josh Brolin, réussi à suspendre le film à chacune de ses apparitions, conjuguant la sidération à l’émotion. Il faut voir les larmes de détresse couler sur les joues striées de rides du géant torturé…
Des figurines écornées
À rebours du panache un peu naïf des aventures cinématographiques précédentes, Infinity War aligne des guerriers fatigués. Très concrètement, Bruce Banner a des difficultés à libérer le Hulk en lui (impuissance sexuelle métaphorique), le beau gosse Thor a un œil crevé et le très lisse Captain America se laisse aller niveau pilosité. Même Vision, pure artificialité au statut quasi-divin, choisit une apparence humaine lors de ses virées amoureuses.
Cette humanité malgré tout, ou après tout (les combats, les deuils et les divisions), trouve une incarnation dans la chair des personnages jusqu’alors inédite au sein du Marvel Cinematic Universe (quand le DC Universe façon Zack Snyder travaille une dimension corporelle et sexuée beaucoup plus évidente). Les héros remis au goût du jour il y a dix ans à peine commencent déjà à rouiller. Ils lâchent l’échelon du mythe pour un socle plus fragile, probable dernière étape avant la relégation sur l’étagère et l’entrée en jeu d’une nouvelle génération. Figurines cabossées voire pures idées de papier retournant à la cendre, ils colorent le mastodonte Marvel d’une fragilité inattendue.
{"type":"Banniere-Basse"}