Dans “Un petit frère”, la réalisatrice Léonor Serraille dévoile un très beau personnage féminin, Rose, interprété par Annabelle Lengronne.
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Six ans après sa caméra d’Or pour Jeune femme, Léonor Serraille revient à nouveau avec un film au titre équivoque : Un petit frère. Le film joue d’abord du mystère de l’identité de son nom, puisque quand il s’ouvre ce n’est pas un jeune garçon que nous rencontrons mais une autre jeune femme, qu’on imagine bien copine de galère de l’héroïne de 2017, Paula jouée par Lætitia Dosch.
C’est ici Annabelle Lengronne, actrice vue dans Mercuriales de Virgil Vernier ou Filles de joie de Anne Paulicevich, mais rarement au premier plan, impressionnante de prestance et de charisme, qui est Rose, tout juste débarquée de Côte d’Ivoire, dans un Paris des années 1980, avec une valise et ses deux fils, Jean et Ernest. Un petit frère entretient manifestement un rapport particulier et proche à son aîné, tant la manière dont il s’applique à filmer Rose, sa vie de mère, mais surtout sa vie de femme, les petits boulots, les amours éphémères, la sexualité, toutes ces choses dont sont trop souvent privées les personnages de mère au cinéma, crée un écho avec cette sensualité, cette liberté généreuse et un peu foutraque déjà à l’œuvre dans Jeune femme.
Chronique naturaliste ou saga familiale ?
Libre, Rose l’est d’une certaine façon si l’on s’attache à son caractère téméraire mais sa vie, son exil, sa classe, la privent certainement d’autres possibles. Le film, pourtant, n’en fait jamais une mère courage, expression aussi ostracisante que vide de sens. Il nous faudra un peu de temps pour accepter qu’Un petit frère nous oblige à la quitter, un temps pour rompre cet attachement lié à elle, car bientôt il se resserre sur les vies de Jean et d’Ernest.
Le film que l’on avait alors d’abord situé du côté de la chronique naturaliste, prend une autre envergure. Il déploie discrètement son ambition de saga familiale traversant les âges et le temps pour gagner en ampleur romanesque. Une matière qu’il parvient à insuffler progressivement notamment parce qu’il manie avec une très grande parcimonie l’enjeu rétrospectif, sa charge émotionnelle, qui pèse sur son récit-souvenir.
Une semaine après Retour à Séoul de Davy Chou qui venait exploser le champ des représentations liées aux personnages féminins asiatiques dans le cinéma, Un petit frère accomplit lui aussi, sans crier, sans militer, un déplacement suffisamment remarquable pour qu’il soit soulevé. Non seulement il vient donner un visage et une humanité concrète au mot d’immigré, mais il esquisse aussi un portrait de la France du point de vue de celles et ceux qui d’ordinaire n’en ont pas le droit. Il vient nous mettre face au caractère inédit de son récit dans la fiction, l’histoire de cette femme noire et de ses deux enfants, bientôt adultes pour créer ce sentiment si précieux d’une reconnaissance partagée.
Un petit frère de Léonor Serraille, avec Annabelle Lengronne, Stéphane Bak, Ahmed Sylla (Fr., 2022, 1 h 56). En salle le 1er février.
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