Détournant les codes du “revenge movie” et du film de gangster, le scénariste de “J’ai rencontré le diable”, érige avec force un théâtre de l’absurde aussi violent qu’élégiaque.
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En 2010, nous découvrions le travail de Park Hoon-jung, scénariste d’un bijou de noirceur, J’ai rencontré le diable (réalisé par Kim Jee-woon en 2010), dans lequel il affirmait son inclinaison pour le revenge movie.
Jusqu’ici rien de très étonnant lorsqu’on sait à quel point le genre est devenu une sous-catégorie extrêmement prolifique du cinéma sud-coréen depuis le début des années 2000.
Sauf que le film repoussait la perversité de la chasse à l’homme et les stigmates infligés aux corps de ses personnages à un tel degré de radicalité que l’extrême violence s’en trouvait recouverte d’une dimension parodique.
La complainte de l’horreur
Un marathon de l’horreur doté d’une violence outrée, répétée ad nauseam, quelque part entre le torture porn et les carambolages à répétition dont subissent les personnages des Looney Tunes, qui armait le film d’une réflexivité face à ses images.
Une scène particulièrement représentative est resté imprimée sur notre rétine, lorsque dans le dernier plan du film, le héros enfin vengé marche face caméra et soudain fond en larmes tandis qu’une mélodie au piano recouvre le son produit par ses sanglots. Comme si le film se regardait, et, en même temps que son protagoniste, se liquéfiait face à l’horreur dont il est à l’origine depuis plus de deux heures.
Si l’on peut s’interroger sur la paternité de cette scène entre le scénariste et le réalisateur, la découverte de Night in Paradise nous fait définitivement pencher pour la première proposition tant le film de Park Hoon-jung parvient à conjuguer l’extrême violence à l’élégie.
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Entre Fritz Lang et Nicholas Ray
Le film débute en suivant la tradition du revenge movie et du film de gangster puis bascule et s’exile avec son personnage principal, sur une petite île où il fait la rencontre d’une jeune femme. Ces deux personnages condamnés à mort, l’un par la pègre et l’autre par une maladie, font soudain pencher Night in Paradise vers le film de cavale.
Une sorte de version grisâtre, nébuleuse et ultra-violente des deux chefs-d’œuvre romantiques du genre que sont J’ai le droit de vivre de Fritz Lang (1937) et Les Amants de la nuit de Nicholas Ray (1947). Plus la fatalité du couple se précise et plus on s’émeut à les voir ensemble. Ici ne se disant jamais leur amour, bien au contraire, mais s’apprivoisant timidement autour de longues scènes à deux.
La lenteur mélancolique de ces tableaux et cette façon de sortir des rails du film de gangsters évoque fortement Sonatine de Takeshi Kitano (1993) dont le film rejouera, dans sa dernière scène, le célèbre plan de l’acteur qui sourit, le canon d’un pistolet posé sur la tempe.
Chez Park Hoon-jung, on pleure lorsque l’on s’est enfin vengé et l’on l’on rit face à sa mort. Voilà un regard poignant sur l’absurde, jamais ricanant, qui élève la cruauté du destin au rang de poésie triste.
Night in Paradise de Park Hoon-Jung, avec Dong-in Cho, Tae-goo Eom, Jeon Yeo-bin (Cor., 2020, 2h11). Sur Netflix le 9 avril
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