Présenté à la Quinzaine des réalisateurs en mai dernier, “Les cinq diables” est un impressionnant récit des origines conjugué à une saga de l’intime et une vibrante histoire d’amour (retrouvé). Déployé dans une forme impressionnante, le film ne cesse de négocier entre maîtrise et lâcher prise et parvient à se libérer de ses propres chaînes.
On pourrait croire à un paradoxe Léa Mysius. Un paradoxe entre le fond et la forme, entre les intentions, les idées, et leurs inscriptions dans les films, leurs incarnations à l’image. Pour le dire autrement, Léa Mysius, cinéaste et scénariste très prisée (André Téchiné, Arnaud Desplechin…), vise a priori un cinéma des sens et des sensations alors même qu’elle semble en construire l’envers, le négatif : un cinéma de l’intellect, fondé sur l’écriture et son agencement scrupuleux dans l’espace et dans le temps.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les sens, si l’on voulait déjà fixer en deux longs métrages et une poignée de courts les motifs et obsessions de Léa Mysius, sont au cœur de sa filmographie. Après la vue dans Ava, dans lequel une ado était brusquement frappée de cécité, l’odorat occupe le premier plan des Cinq diables, film qui se déploie en différentes strates, film comparable à un vieux grimoire sorti du placard et tâché de zones d’ombres insondables.
Hyperstylisation
Tout dans Les cinq diables trahit son allure de chronique familiale ordinaire. Le ciel gris est trop bas pour cela, le relief de la montagne trop tranchant, le brouillard trop épais. L’hyperstylisation de son décor, cet anti-naturalisme qui passe chez Mysius par une surexposition de l’image et son inscription affichée dans le cinéma de genre, fleuron chéri d’un jeune cinéma d’auteur à la recherche de sensations fortes (La Nuée, Teddy, Titane…), le place ailleurs, dans des contrées lointaines, où surgissent les fantômes de Twin Peaks et des contes qui font peur.
Les sensations, justement, que produit Les cinq diables sont des sensations contrariées par un système de dissonances et de forces contraires. Dans ce film de fantômes et d’amour contrarié, où une petite fille emprisonne les odeurs des gens comme des âmes dans des reliques, dans ce film-cadavre exquis sans cesse nourri d’une nouvelle et folle intrigue, tout est à la fois spectaculaire et banal, parfait et imparfait, solide comme un roc et d’une fragilité de moineau. Ce qui finit par nous sauter au visage, c’est le squelette d’un film qui nous autorise à regarder son ossature et donc à accepter ses failles. C’est sans doute ce à quoi nous invite dans les premières minutes un regard caméra intense.
C’est ainsi que sous l’ambition dévorante de son scénario puzzle et la profusion de ses images incroyablement fantasmagoriques, Les cinq diables finit par fendre l’armure. Il laisse échapper les mythes et les légendes qu’il invente, transfigure sa théorie en chair et en pleurs, mais il balaye l’extraordinaire pour étreindre la simplicité d’un baiser échangé, pour que les idées de cinéma fassent enfin palpiter le cœur.
Les cinq diables de Léa Mysius avec Adèle Exarchopoulos, Sally Drame, Swala Emati, en salle le 31 août
{"type":"Banniere-Basse"}