Une histoire d’usurpation d’identité et de grands sentiments très romanesque, politique, toute en retenue, très maîtrisée : le meilleur film d’Aurélia Georges à ce jour avec des actrices merveilleuses.
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Transposition au début de la guerre de 1914 d’un roman du grand romancier et feuilletoniste britannique Wilkie Collins (1824-1889),– qui fut proche de Charles Dickens – La Place d’une autre est d’abord, d’évidence, un film qui décrit, dès ses premiers plans, un monde, une époque où les femmes, du peuple surtout, avaient la sale place. En quelques scènes courtes, on connaît tout de leur sort : le harcèlement sexuel, la prostitution, la clochardisation. Sans effet de manche, sans chichi, la mise en scène d’ Aurélia Georges se contente de décrire des faits, une réalité sociale.
Nélie Laborde (extraordinaire Lyna Khoudri, dans un registre tout en retenue qu’on ne lui connaissait pas et ou elle excelle encore) en fait partie. La seule chose qui la distingue des autres, c’est qu’elle sait lire, seule chose que sa mère a pu lui apprendre. Elle devient un peu par hasard infirmière de la Croix-Rouge et la Première Guerre mondiale éclate. Elle est mobilisée dans un hôpital militaire des Vosges.
Les hasards de la guerre vont lui faire rencontrer une femme bourgeoise d’origine suisse qui va mourir sous ses yeux après un bombardement allemand. Nélie saute le pas et décide sans réfléchir de prendre son identité pour changer de classe sociale. Et si cela marchait ? La voilà bientôt chez la riche Eléonore (Sabine Azéma), une amie du père de la vraie Rose, avec une lettre posthume de son père la confiant à ses bons soins. Le courant passe immédiatement entre les deux femmes. Nélie devient donc sa lectrice. Tout va bien. Mais son passé va la rattraper.
Qu’y a-t-il de plus important : la morale ou l’affection ?
Le troisième long métrage de fiction d’Aurélia Georges (L’Homme qui marche, La Fille et le fleuve) est un film délicat. La cinéaste met en scène des personnages complexes, délicats eux aussi, traversés de regrets, de remords, de doutes, de cas de conscience et pourtant bien décidés à aller de l’avant, envers et contre toutes les conventions, la bien-pensance bourgeoise. Qu’importe quand on aime.
Au début, le·la spectateur·trice craint un peu que le film ne se cantonne à cette histoire d’ursurpation d’identité (du type Retour de Martin Guerre), policière. Mais non, l’usurpation n’est pas le sujet du film, il n’en est que le moteur narratif. Ce sont bel et bien les sentiments, de grands sentiments, les atomes crochus, les affinités électives, la sororité peut-être, qui intéressent Aurélia Georges (et nous avec elle). Mais sans violon pour les souligner, sans jamais rien alourdir, donc d’autant plus forts.
Il y a plein de motifs purement romanesques très intéressants dans La Place d’une autre. Mais il y en a un qui me semble important parce qu’il était déjà présent dans ses deux premiers films : celui du fantôme, thème très cinématographique qui a travaillé beaucoup de grands cinéastes (Hitchcock, Dreyer, Weerasethakul, etc.). Rose est-elle vraiment vivante ou n’incarne-t-elle que la culpabilité de Nélie ? Aurélia Georges ne pousse jamais le récit dans ce sens, mais il laisse la porte ouverte à l’entrée des spectres. Et c’est beau (la photo est superbe).
Enfin, on n’avait pas vu Sabine Azéma depuis longtemps (depuis la disparition d’Alain Resnais ?) dans un film ambitieux et réussi. Elle est ici magistrale, dans le rôle complexe d’une femme tiraillée entre une morale infaillible et sa naturelle bonté. Merci, madame.
La Place d’une autre d’Aurélia Georges avec Lyna Khoudri, Sabine Azéma, Maud Wyler, Jacques Poitrenaux, Didier Brice, Lise Lametrie…
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