Le grand remplacement des humains par des extraterrestres à leur image. Une méditation anxiogène.
Comme Hong Sangsoo, Kiyoshi Kurosawa tourne plus vite que son ombre – ou du moins que ses distributeurs français ne le programment. Et comme pour le cher Coréen, ce stakhanovisme n’empêche en rien la qualité. Après la géniale minisérie Shokuzai et le superbement terrorisant Creepy, et alors qu’un nouveau film (Yocho) vient d’être présenté à Berlin, Avant que nous disparaissions, découvert l’année dernière à Cannes, maintient un niveau très élevé.
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Comme le suggère son titre, ce film raconte rien moins que la fin du monde, ou plus exactement la fin de nous autres humains. Les extraterrestres sont dans la place et prennent forme humaine pour mieux se dissimuler et nous remplacer. Mieux (ou pire) : ils habitent les corps de nos proches, autre version du “grand remplacement”, en moins xénophobe et plus métaphysique.
Dans ce processus de body snatching, votre épouse, mari, enfant ou voisin est peut-être un alien qui vous veut du mal et vient voler au genre humain des concepts comme l’amour. A l’angoisse collective de fin de l’humanité (réchauffement climatique, malbouffe, Daech, la Syrie, Trump ou Poutine, les exemples nourrissant cette sombre projection ne manquent pas), Kurosawa ajoute un questionnement philosophique plus intimiste. Qu’est-ce que l’amour ? Connaissez-vous vraiment ceux qui vous entourent ? Que se passe-t-il quand votre intérieur n’est plus le cocon protecteur, l’endroit où vous pouvez enfin lâcher tous vos oripeaux sociaux, mais un lieu où peut prospérer une menace invisible ?
La figure du body snatcher a inspiré nombre de films hollywoodiens, de Don Siegel (L’Invasion des profanateurs de sépultures) à George A. Romero (La Nuit des morts-vivants), en passant par la série Les Envahisseurs, reflétant la paranoïa américaine de l’époque vis-à-vis du communisme. Elle a été reprise pour incarner d’autres menaces : du sida, dans le remake du Don Siegel par Abel Ferrara, aux yuppies, dans Invasion Los Angeles de John Carpenter (où les envahisseurs façon Séguéla portent bronzage et Rolex). Pour le Japonais Kurosawa, on imagine que le fantasme de chaos et de disparition est lié au nucléaire civil (Fukushima) et militaire (le voisin menaçant, Kim Jong-un), mais l’angoisse millénariste étant désormais universelle, ce film parle à tout le monde.
Le plus important est que son propos est alimenté par une forme élégante (beauté des acteurs et des plans), graphique et tranchante (cadres et montage), porteuse d’une irrésistible puissance anxiogène, de celles qui diffusent de l’inquiétude même quand on ne voit rien de spécial (science du hors-champ qui évoque Tourneur). Du cinéma en prise directe avec notre chaos planétaire et nos peurs collectives.
Avant que nous disparaissions de Kiyoshi Kurosawa (Jap., 2017, 2 h 09)
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