Environ 10 000 ados qui se ruent à Bercy pour l’avant-première en 3D d’Harry Potter, c’est autant de spectateurs en moins pour les salles parisiennes et un moyen de contourner l’impôt redistribué au cinéma français. Des exploitants indépendants dénoncent l’évasion fiscale du sorcier à lunettes.
L’évènement s’affiche partout sur les murs de Paris : pour célébrer la sortie du dernier volet de la saga Harry Potter (Harry Potter et les reliques de la mort), la Warner réquisitionne le Palais omnisports de Bercy. Le studio a préparé une géante avant-première publique (la plus grande jamais organisée en France), en 3D et en présence de membres de l’équipe du film. Moyennant 25 euros (!) et quelques acouphènes, les fanboys adolescents pourront donc applaudir leur héros Daniel Radcliffe dans ce que la com’ de Bercy qualifie de « point d’orgue d’un succès de plus de 10 ans ».
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Mais alors que les sites de réservation affichent déjà complets, la grande fête du marketing provoque la colère des exploitants. La société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs ARP dénonce un véritable rapt sur les potentiels spectateurs parisiens d’Harry Potter (combien de salles pour remplir le Bercy ?). Pire, l’évènement, extra-cinématographique, échappe à l’impôt auquel sont soumises les salles traditionnelles – et dont l’objectif est d’être redistribué au cinéma français. Harry Potter, premier évadé fiscal sur grand écran ?
Entre 7 000 et 12 000 spectateurs en moins à Paris
Dans un communiqué publié hier, l’ARP (association fondée en 1987 pour la défense de l’indépendance des auteurs et la transparence économique de la production nationale) remet donc en cause l’avant-première d’Harry Potter et les reliques de la mort prévue par la Warner le 12 juillet prochain –la veille de la sortie nationale. Selon différentes estimations de l’association, la soirée pourrait réunir entre 7 000 et 12 000 fans pour des billets au prix unique de 25 euros (qualifié de « scandaleux » par l’ARP), privant ainsi les salles parisiennes d’un nombre non négligeable de spectateurs.
« C’est une sorte de concurrence déloyale, affirme aux Inrocks la responsable presse de l’ARP, Florence Gastaud. Mettons qu’il y ait 10 000 personnes, soit 250 000 euros de recettes, le manque à gagner est indéniable pour les salles parisiennes. »
Mais selon l’ARP, le problème lié à l’évènement est surtout de nature fiscale. Le Palais omnisports de Bercy n’étant pas sous le même régime que les salles de cinéma traditionnelles, les recettes de la soirée ne seront pas soumises à la TSA, la taxe sur le prix des billets d’entrée. Fixé à 10,72% du prix total d’un billet, cet impôt alimente un compte de soutien géré par le CNC, et dont les recettes sont redistribuées au cinéma français. Les entrées de l’avant-première d’Harry Potter et les reliques de la mort seront à l’inverse soumises à une TVA, dont les recettes iront directement à l’Etat.
« Avec ce genre d’évènement, tout notre circuit de financement du cinéma est remis en cause : ce fameux système mutualisant qui fait qu’un blockbuster américain va participer, malgré lui, à aider un film d’auteur français à l’économie réduite. L’avant-première d’Harry Potter, c’est autre chose : du Johnny en fait, on joue dans les stades et on échappe à l’impôt », remarque Florence Gastaud.
Un vide juridique
Si l’ARP tient tant à la taxe TSA, c’est qu’elle permet de faire tourner l’ensemble du cinéma français : ses recettes sont réparties chaque année entre la production, la distribution, et l’exploitation (pour la restauration des salles, l’équipement technique…). La soirée Harry Potter organisée par la Warner, et d’autres évènements similaires qui devraient logiquement suivre, pourraient selon l’association fragiliser cette organisation typiquement française :
« Nous ne sommes pas contre cet évènement, mais nous insistons sur le fait qu’il y a un vide juridique, précise Florence Gastaud. Ce type d’opération va forcément se développer en France, et on peut déjà envisager les conséquences néfastes. Il faudra impérativement mettre en place un système de billetterie spécial. »
D’autant que le système actuel ne favorise pas forcement les studios qui organisent ce type d’avant-premières exceptionnelles. En plus de l’équipement 3D de Bercy (« une fortune »), la Warner devra aussi composer avec « une TVA à 19,6% » sur le prix des billets, selon l’ARP. Un peu cher, pour une opération de communication.
Romain Blondeau
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