Un hôtel de luxe isolé dans les Pyrénées, un mort, une enquête : un habile film policier doublé d’une fine étude de caractères.
Par quels mystères un cinéaste impose-t-il son nom dès ses débuts ? Par exemple, qui se souvenait du nom de Raphaël Jacoulot ? Auteur de quelques courts métrages, ce réalisateur avait pourtant déjà signé un long, Barrage, en 2006, plutôt bien reçu par la critique.
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Mais un premier film bien accueilli n’est pas nécessairement le sésame d’une carrière. Cinq années ont passé depuis Barrage, et on imagine qu’elles ont été consacrées à batailler ferme sur tous les fronts pour mener à bien Avant l’aube, ce fameux deuxième film (souvent plus dur à concrétiser que le premier).
On ne sait pas si Avant l’aube imprimera durablement le nom de son auteur dans la mémoire des spectateurs, mais il en a le potentiel : une bonne histoire, un sens de l’atmosphère, une mise en scène précise, un récit à multiples couches de lectures, un casting excellent avec plusieurs acteurs connus, ce film noir tendance Chabrol-Simenon a tout pour séduire.
Jacoulot nous emmène dans les Pyrénées, vers un hôtel de luxe isolé dans les sommets, un peu comme dans Shining. Un soir, découvrant une rupture de stock, le patron envoie son fils chercher en urgence quelques caisses de vin dans la vallée. Il fait nuit, il neige, le jeune homme renverse un piéton. Alerté, son père décide de maquiller et de taire l’accident. Cette description prosaïque du début du film ne rend pas justice à la mise en scène de Jacoulot, toute en révélations différées, non-dits, ambiguïté des situations, coulée de scènes nocturnes et mystérieuses.
A partir de ce mensonge, Jacoulot va pouvoir se consacrer à dépeindre la vie de l’hôtel et de la famille des tenanciers, matériau a priori banal mais chargé par l’événement inaugural. Dès lors, tout est double, entre les apparences anodines de la vie d’un hôtel touristique, ses clients, son personnel, et le lourd secret de l’hôtelier et de son fils, entre ce que ne sait pas la plupart des personnages et ce que savent les spectateurs.
Ceux-ci sont ainsi tenus par quelques questions classiques du roman noir. Pourquoi le mensonge ? Jusqu’où ? Que révèle-t-il ? Quand et comment la vérité va-t-elle surgir ?
Loin de mener la partie policière tambour battant, Jacoulot prend son temps pour observer situations et personnages. On suit ainsi l’hôtelier jusqu’en Andorre où il organise une fausse piste. On voit vivre sa famille, minée par les mauvaises relations entre le père et le fils, conflit exacerbé par la dissimulation qui les lie.
Un jeune stagiaire prend de l’importance : couvé par le patron tel un fils de substitution, prenant en charge une partie des impulsions du spectateur, ce jeune employé devine petit à petit le secret de l’hôtelier, alors que les questions de la police se font de plus en plus pressantes.
A partir d’un fait divers, Jacoulot filme en patients cercles concentriques, sans jamais rien surligner, la vie d’un hôtel de province, la géographie sociale d’une région (classe ouvrière dans la vallée, bourgeoisie en altitude), la complexité des affects circulant au cœur d’une famille, tout en maintenant à doses subtiles le suspense d’une trame policière.
Si Avant l’aube est un film de lieux, de climats, de non-dits, donc de pure mise en scène, c’est aussi un film incarné, avec des personnages portés par des acteurs excellents : Jean-Pierre Bacri au sommet de son art de la mauvaise humeur, Vincent Rottiers toujours aussi intense mais plus intériorisé, ou encore Sylvie Testud parfaite en inspectrice Columbo.
Jacoulot ménage avec intelligence l’ambiguïté morale de ses personnages, car si l’on est si bien embarqué tout au long du film, c’est aussi parce que rien n’y est manichéen : les “meurtriers” ne sont pas ici de véritables assassins ou de grands pervers repoussoirs à la Hannibal Lecter, mais des personnages ordinaires auxquels chacun pourrait s’identifier.
Subtil et ample, prenant et profond, ambitieux et modeste, aussi bon dans son mouvement général que dans ses détails, Avant l’aube nous fera définitivement nous souvenir du nom de Raphaël Jacoulot.
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