Promenade sarcastique et inquiétante dans le Bucarest contemporain par l’auteur de La Mort de Dante Lazarescu.
Présenté à Cannes en 2010, ce film magistral aura donc mis deux années à sortir : offense hélas ordinaire faite au talent cinématographique dès lors qu’il n’est pas américain ou français. Pourtant Cristi Puiu est l’un des chefs de file de cette génération roumaine qui enquille les prix dans les festivals, l’auteur de l’extraordinaire La Mort de Dante Lazarescu.
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Dans ce deuxième film, Puiu déploie les mêmes ingrédients : utilisation de longs plans-séquences et de durées réelles, fiction immergée dans un environnement documentaire, humour noir cinglant. Joué par Puiu himself, le taciturne Viorel est plus que le personnage principal d’Aurora : présent dans quasiment tous les plans, il est un personnage-film, comme la Rosetta des Dardenne. Sauf que le maussade Viorel évoquerait plutôt Cioran.
On le suit en direct live dans ses mystérieuses occupations quotidiennes : conversations saugrenues avec des membres de sa famille, déplacements dans Bucarest et sa banlieue, tractations autour d’un fusil… A travers Viorel, on déambule dans la Roumanie contemporaine, sa grisaille, sa déréliction glauque mais pas totalement misérable, son chaos encore limite vivable. Bien que le pays ne soit pas très engageant, on ne s’ennuie pas une seconde parce que le parcours laconique de Viorel suscite une forme d’infra suspense : on sent qu’il poursuit un but, mais on ne sait pas trop lequel.
Puiu nous aide peu, vissé à une mise en scène comportementaliste refusant toutes saillies dramaturgiques ou spectaculaires. Un événement scénaristique important (que l’on ne dévoilera pas mais qui a un rapport avec le fusil) finira bien par se produire, mais la mise en scène persistera à le traiter comme une partie banale du continuum quotidien de Viorel. Ce film où l’on ne sait jamais trop s’il faut rire ou flipper se conclut au bout de trois heures que l’on n’a pas senti passer par une hilarante séquence d’absurdité bureaucratique qui semble mixer Kafka et Ionesco.
C’est un peu ça, Aurora, un film d’Alan Clarke ou de Chantal Akerman qui aurait macéré dans un bain d’absurdité et d’humour glaçant. Un objet filmique radicalement singulier qui tranche dans le cinématographiquement routinier, qu’il soit hollywoodien ou français, et nous laisse avec un rire jaunâtre au coin des lèvres.
Serge Kaganski
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