“Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui” version sénégalaise. Grâce et mystère.
Retour du trop rare Alain Gomis, qui persiste et signe avec son étrangeté métisse, laquelle mêle non seulement couleurs et origines, mais aussi documentaire et fiction, sans distinction marquée entre les registres. Comme dans Andalucia, le cinéaste utilise le truchement d’une sorte d’elfe cheminant dans la ville et parmi les hommes, en quête d’une vérité, d’un signe, ou d’une manifestation cosmique.
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Cette fois, son héraut est Saul Williams, star du slam catapultée au Sénégal, plus précisément à Dakar. Paradoxe : le slameur, ici très laconique, ne brille pas par son verbe ; il est proche d’une figure burlesque du muet. Lunaire et solaire à la fois, il nous guide dans cette jungle urbaine inextricable, à travers certains rituels impénétrables. Notamment dans la première partie – sorte de genèse étrange du personnage, dont la famille et les proches annoncent qu’il a été désigné pour mourir, tout en le fêtant comme un mini-dieu. Allégorie ? Parallèle avec les sacrifices aztèques ? En tout cas, cette mort annoncée est clairement un honneur et permet à Satché (Williams) de faire une foule de rencontres exubérantes. Un bain humain et un cérémonial dont il s’extirpe peu à peu pour aller errer librement dans Dakar.
Là se déploie un extraordinaire documentaire, filmé avec une grâce infaillible par Alain Gomis : des enfants dansant dans les rues, des mendiants, des sapeurs, des filles aux clins d’oeil enchanteurs, etc. La caméra virevolte avec Saul Williams, qui utilise son corps comme un instrument et glisse dans la ville en effleurant les passants ; il semble diffuser une sorte de philtre invisible qui euphorise son environnement. En même temps, ce n’est pas une oeuvre guillerette. Ça coince ça et là. Satché n’est pas le bienvenu partout. Dans un immeuble en chantier, des hommes le prennent à partie ; dans une galerie d’art, il est humilié par une ancienne maîtresse. Mais, l’un dans l’autre, le film fait surtout naître des efflorescences urbaines sur le sillage de l’élu. La grâce ne provient pas tant de ces manifestations, mais de la manière lyrique dont Gomis les filme. Une pseudo candeur documentaire. On a une impression d’improvisation permanente alors que tout est extrêmement élaboré. Dans un troisième temps, Satché redevient un homme comme les autres, ni dieu ni victime sacrificielle. Un simple père de famille qui rentre chez lui, retrouve sa femme (revêche) et ses enfants (joueurs). On a presque envie de faire un parallèle avec la fin d’Holy Motors, de Leos Carax.
Si les deux films ne se ressemblent pas spécialement, on peut trouver entre eux une certaine communauté d’esprit, un même principe ; le cinéma est capable de se renouveler non seulement en se jouant de ses clichés ou en jouant avec eux, mais aussi en traversant le réel comme un somnambule. Gomis ne délivre pas de discours particulier sur l’état du cinéma, mais il démontre qu’on peut immerger une figure mythique dans le monde réel pour lui donner un sens nouveau. Lui insuffler une énergie désordonnée et swinguante.
Aujourd’hui d’Alain Gomis, avec Saul Williams, Djolof Mbengue (Fr., Sén., 2012, 1 h 28)
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