Ça commence dans la zone et ça se termine chez les frères Grimm : porté par un couple d’acteurs exceptionnels, un premier film à la fois naturaliste et poétique.
Comment décrire Au voleur, le nouveau film de Sarah Leonor (qui s’était fait connaître par des courts métrages sous le nom de Sarah Petit) ? En le racontant ? Non, l’histoire n’est guère aguichante (une histoire d’amour entre une prof et un voleur, qui s’enfuient quand la police les recherche). En lui cherchant des analogies ? Alors on pourrait dire qu’Au voleur commence dans un certain naturalisme contemporain à la française : la banlieue, la zone, les vols, la sortie de prison, les pères absents, les boulots pas valorisés donc pas valorisants (prof remplaçant), le prolétariat, le collège où les enfants ne comprennent pas ce qu’ils font… Et ça se termine par La Nuit du chasseur, Les Amants de la nuit, ou comme dans un Jean Renoir ou un Jean Vigo, chez Apichatpong Weerasethakul, ou comme un conte de Grimm, ou un western dans le bayou, si possible un faux (du genre Sans retour de Walter Hill). Et Rimbaud traîne encore par là, avec son val et son dormeur. C’est à peu près la manière dont on pourrait résumer Au voleur, si l’on n’avait peur d’en faire un peu trop et d’en faire fuir certains.
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Parce qu’heureusement Au voleur a d’autres cordes à son arc. Ne serait-ce que ses acteurs. La rencontre entre Florence Loiret Caille et Guillaume Depardieu est de celles qu’on n’est pas près d’oublier. Loiret Caille, on la connaît depuis Trouble Every Day de Claire Denis. On l’a vue plusieurs fois chez Jérôme Bonnell (grand découvreur d’actrices, comme aussi Nathalie Boutefeu), et notamment dans J’attends quelqu’un, où elle jouait une scène de séparation (dans une voiture) d’anthologie avec l’inoxydable (son talent résiste à tout) Jean-Pierre Darroussin. Dans Au voleur, elle est plus encore. Grâce à elle, pas une scène qui ne soit passionnante (cette scène muette du début où elle se lève, va dans sa cuisine, retourne dans son lit), pas une réplique qui ne soit inoubliable. Il faut la voir prononcer par exemple une phrase aussi banale que “J’en ai pour deux heures, j’reviens direct, d’accord ?” pour comprendre ce que jouer veut dire.
Elle n’est pas grande de taille, Florence Loiret Caille, elle ne paie pas de mine, elle ne la ramène pas. Mais quel caractère, quelle capacité à créer du sentiment, du romanesque et de la fiction tout en restant alerte, légère, gracile. Elle rappelle une grande actrice, une grande artiste de la modernité qui a disparu il y aura vingt ans au mois de janvier prochain et qui s’appelait Juliet Berto (elle avait débuté avec Godard, puis beaucoup travaillé avec Rivette avant de réaliser trois films), pas moins.
Et puis bien sûr, c’est le dernier film de Guillaume Depardieu. Et l’on ne peut taire ou ignorer, sans que cela atténue la valeur du travail de Sarah Leonor, que notre émotion naît aussi de sa présence : c’est la dernière fois que nous – qui avons vu tous ses films – le voyons pour la première fois. Et quand le personnage joué par Jacques Nolot (admirable, bien sûr), qui sort de prison, lui explique qu’après avoir passé de longs mois en cellule d’isolement il avait fini par avaler une fourchette pour pouvoir aller à l’infirmerie parce qu’“à la fin, il n’y a plus que les autres pour te dire si tu es mort ou pas”, on frissonne. Florence Loiret Caille et Guillaume Depardieu se rencontrent sur un écran, et c’est un couple qui naît, qui joue l’amour (banal), qui joue la complicité. Tout le temps du film on croirait voir Loiret Caille protéger Depardieu, l’encourager, le réconforter, le rassurer, le diriger aussi à sa façon. Tout le long du film, on le voit peu à peu s’épanouir, se laisser aller, s’adonner à sa partenaire mais aussi à la caméra de Sarah Leonor, s’abandonner, s’oublier (il disait que le métier d’acteur consistait à ne rien faire), en toute confiance, la tête dans le frais cresson, à la nature qui recouvre tout comme un linceul.
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