Le Salon des lieux de tournage se tenait jeudi et vendredi derniers à Paris. Au programme : locations de tous les décors imaginables, guéguerres entre collectivités locales, et vraie manne financière en devenir.
“Ça a énormément changé en dix ans”, déclare Luc Bricault, premier assistant réalisateur pour des longs métrages (OSS 117, Un amour de jeunesse), interrogé par Europe 1. “Avant, c’était un peu la débrouille. Pour louer un couloir d’hôpital avec une chambre, ça variait de 2 000 à 6 000 euros, il n’y avait aucune logique. C’était surtout du copinage.”
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Aujourd’hui, toutes les institutions prennent peu à peu le pli : en plus d’une bonne publicité, la location d’un espace public comme décor de cinéma, en intérieur ou en extérieur, génère des revenus non négligeables. Promouvoir leur image tout en amassant des sommes considérables : le filon est sérieux, et la plupart des sites autrefois rétifs s’équipent désormais de grilles tarifaires extrêmement cadrées. 10 000 euros la journée pour une porte d’embarquement à Orly, 45 000 pour un TGV, ou même 146 000 euros pour louer l’ambassade de France à Rome pendant trois semaines. En 2013, cette politique a rapporté non moins de 10 millions d’euros à l’Etat, représenté par l’Agence du patrimoine immatériel de l’Etat (APIE).
Un secteur en pleine explosion
Les sites stars connaissent bien le sujet : le Château de Versailles, la tour Eiffel, les jardins du Palais-Royal, les quais de la Seine rassemblent des dizaines de décors, et le rythme s’intensifie. En 2009, 48 tournages de longs métrages (cinéma et télévision confondus) ont eu lieu dans des sites publics référencés par l’APIE. En quatre ans, ce nombre a été multiplié par 10. L’impact peut s’avérer capital : l’effet Da Vinci Code sur la fréquentation du Louvre a dépassé le million de visiteurs. Le musée reçoit annuellement 120 tournages, lui rapportant un pactole d’un demi-million d’euros.
A l’international, ces sites savent bien que la France joue son attractivité sur le terrain d’une certaine image romantique (plutôt que sur la question fiscale par exemple, où nous le cédons au Canada ou au Royaume-Uni). Même si l’Europe et la Russie représentent plus de la moitié des tournages, c’est du côté de l’Asie que les regards se tournent. “La Chine représente 8 % des tournages, c’est un marché en croissance depuis trois ans”, explique Franck Priot, de la Commission nationale Film France. Particulièrement séduits par l’art de vivre français, les producteurs chinois font notamment le bonheur du parc de 150 châteaux d’Île-de-France, régulièrement mis à contribution. La publicité y est pour beaucoup : au Japon, le secteur automobile raffole des paysages français comme le Vexin. Récemment, c’est Leonardo DiCaprio qui tournait à l’église Saint-Augustin, à Paris, un spot grand luxe (salaire de 5 millions de dollars pour l’acteur) pour la marque de téléphonie chinoise OPPO.
Domination francilienne et petite guerre des régions
En concentrant la majorité des centres décisionnaires du cinéma, qu’ils soient publics ou privés, la région parisienne écrase de tout son poids l’activité du pays. Sur les 1 500 tournages de films, téléfilms et publicités ayant lieu chaque année en France, 1 000 prennent place dans la capitale. C’est aussi à Paris que les institutions sont organisées depuis le plus longtemps pour accueillir ces équipes : la RATP dispose d’une station fantôme réservée aux locations pour le cinéma (à la porte des Lilas). La régie des transports était évidemment présente au Salon, où sa responsable Karine Lehongre-Richard s’explique :
“Cela rapporte 200 000 euros dans une bonne année, mais c’est surtout une belle vitrine pour la RATP qui devient indissociable de la ville.”
Du côté du “capital humain” du secteur, 130 000 salariés de l’audiovisuel sont concentrés en région parisienne. Difficile de rivaliser pour des régions comme la Bretagne, qui vante dans son dépliant un pool de “320 techniciens et 250 comédiens”. Au total, ce sont tout de même 30 000 techniciens qui travaillent en dehors d’Île-de-France.
A mesure que le montage financier des films se complexifie dans une profession en crise perpétuelle, les collectivités locales (à échelle municipale, départementale, et surtout régionale) deviennent des interlocuteurs incontournables pour la production. Le contrat est donnant-donnant : même si les sommes investies sont parfois considérables (de 500 000 à 15 millions d’euros l’an), elles ne vont pas sans contrepartie. Un tournage au moins partiellement implanté dans la région, permettant ainsi de valoriser son image, est presque toujours demandé. Employer des techniciens locaux est aussi souvent une nécessité. Cela peut confiner à l’hypocrisie : Antonin Peretjatko ricanait gentiment de la situation au générique de La Fille du 14 juillet l’an dernier. On y lisait dès l’ouverture : “Un film fait avec l’argent des deux plus belles régions de France – Midi-Pyrénées / Ile-de-France.”
Mais les retombées, là aussi, peuvent être monumentales pour ces collectivités. “Chaque euro investi nous en rapporte 4 à 6”, estime la responsable du dossier pour l’Aquitaine. Les régions touchent le pactole lorsqu’une série télévisée vient s’y installer durablement, assurant une rentrée de sous plus pérenne qu’un one-shot pour le cinéma : Plus belle la vie à Marseille dans le florissant centre de la Friche Belle de Mai, Section de recherche à Bordeaux… Non seulement ces implantations génèrent des emplois et de l’activité économique à moyen-long terme, mais elles créent aussi de l’attractivité, et donc des nuits d’hôtel. C’était le mot d’ordre des 70 stands qui battaient campagne au Salon des lieux de tournage : si notre pays est si beau, autant le louer.
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