De retour d’exil cinématographique, le cinéaste s’adonne aux joies des dialogues barrés et acclimate sa bizarrerie à une esthétique française jusqu’à la nostalgie.
Le fait que Quentin Dupieux n’ait jamais, jusqu’à aujourd’hui, tourné de long métrage en France pouvait faire se hausser quelques sourcils : on pouvait, à la longue, se lasser de son imagerie californienne et surtout se demander, tout simplement, comment sa mécanique absurde à géométrie variable tournerait à domicile.
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Or l’affaire est maintenant résolue, puisque Au poste ! est le premier titre du cinéaste filmé en territoire national (son premier, Steak, s’était monté au Québec, et le reste aux Etats-Unis), et le moins qu’on puisse dire, c’est que Dupieux y va étonnamment fort avec les signaux franchouillards. Opération de dépaysement total, le film pastiche dès son affiche le Bébel de Peur sur la ville, puis de tout son long un univers de farce policière 70’s à la Bertrand Blier, avec du goitre, des cols roulés, des murs beiges et des monceaux fuligineux de Gitanes. On ne parvient jamais vraiment à savoir s’il y ironise sur une esthétique tendrement ringarde ou, au contraire, y voit une espèce de splendeur française déchue.
C’est un interrogatoire. Celui d’un homme benêt mais innocent (Grégoire Ludig), englué dans les questions d’un inspecteur borné (Benoît Poelvoorde), qui peu à peu vrille dans la spirale des petites gaffes, des soupçons qu’elles occasionnent, des grosses gaffes qu’ils déclenchent ensuite, jusqu’à se retrouver malgré lui, dans des méandres de culpabilité, à cacher un corps dans le comico et, par-dessus le marché, commencer à confondre le réel, les souvenirs et l’imaginaire.
A la vue de ce sac de nœuds, on reconnaît plus nettement Dupieux, celui de Wrong ou de Réalité, celui des boucles et des dédales narratifs absurdes dessinés à même la comédie (à moins que ce ne soit l’inverse). Mais ici encore, la machine suit un régime différent, pas vraiment fluide, promeneur et groovy comme ses déambulations californiennes.En quasi huis clos, excepté quelques extérieurs pour la plupart en flash-backs, Au poste ! fait bizarrement l’effet d’un film de studio – Marc Fraize, qui interprète un collègue flic, nous a appris à notre étonnement que toutes les séquences de commissariat avaient été tournées au siège du Parti communiste français (niveau temple d’une splendeur française déchue, on ne fait pas mieux).
Mais il a cet aspect de bulle qui se consume de l’intérieur, centré qu’il est sur le jeu de ping-pong et d’épuisement auquel se livrent Ludig et Poelvoorde. Questions répétées ad nauseam, gentillesses esquissées, puis reflux de méfiance : à des niveaux pas tout à fait égaux d’aisance (Poelvoorde est souverain dans un registre moins enflammé que d’habitude, mais son partenaire arrive à le tenir), les deux s’échangent pourtant une espèce de complicité bienvenue, un fil qui mine de rien est sûrement pour beaucoup dans l’équilibre général, vu la galerie d’hurluberlus qui peuple les seconds rôles.
On en retiendra bien sûr l’humour, première motivation du retour de Dupieux. De fait, il n’avait jamais été drôle de cette manière : on sent l’ancien exilé retrouver enfin le plaisir de sa langue, choisissant pour quasi-seule scène un pur bac à sable de dialoguiste, poussant le texte à des points de rupture (le gag à répétition du tic de langage “c’est pour ça” qui peu à peu contamine tous les personnages). Cela tient notamment à l’arrière-plan : Marc Fraize, un an après Problemos, confirme dans un rôle de poulet quadra bon à rien son néo-statut de comique weird à ne pas lâcher – soulagement de voir apparaître un authentique bizarre, du genre à qui aucun directeur des programmes n’aura la vulgarité de proposer une chronique radio.
Et on retiendra surtout la surprise d’un retour aux racines qui, si on l’avait souhaité depuis un moment, adopte une forme vraiment à côté des attentes : plus sombre, plus grimaçante, plus inquiète. Les personnages dupieussiens changent de continent, et leur folie aussi : elle qui fut presque joyeuse, triomphante, conquérante, comme celle des barbouzes de Wrong Cops, devient aujourd’hui malade, fatiguée, symptôme de désespoir. Mais pas de panique : le désespoir a de l’humour.
Au poste ! de Quentin Dupieux (Fr., 2018, 1 h 13)
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