Vous avez écrit un ouvrage de référence intitulé Transcendental style : Ozu, Bresson, Dreyer. Trois influences majeures ? En tout cas trois grands maîtres. Leurs films sont des cathédrales. C’est comme s’ils ignoraient le spectateur. Ils ne lui permettent pas de s’identifier au personnage, il n’y a aucun repère psychologique, pas d’intrigue, peu d’action. Ces […]
Vous avez écrit un ouvrage de référence intitulé Transcendental style : Ozu, Bresson, Dreyer. Trois influences majeures ?
En tout cas trois grands maîtres. Leurs films sont des cathédrales. C’est comme s’ils ignoraient le spectateur. Ils ne lui permettent pas de s’identifier au personnage, il n’y a aucun repère psychologique, pas d’intrigue, peu d’action. Ces films ont l’air simples, mais même s’ils vous donnent la recette, vous ratez le soufflé. Au départ, ils sont de cultures très différentes, mais leur point commun est d’avoir chacun à leur façon introduit la spiritualité dans l’art. Il y a une austérité des moyens, une étrange tension, une façon de conduire le récit comme un tao, qui aboutit à un moment de révélation.
Vous avez travaillé avec Martin Scorsese : vous partagez son intérêt pour la religion ?
Nous l’envisageons en tout cas de la même manière. Martin en fait le sujet de nombreux de ses films, mais sa façon de la filmer n’est pas elle-même spirituelle. Regardez Kundun, c’est un beau livre d’images, pas un film qui peut vous révéler ce qu’est le bouddhisme. Puisque vous me parlez de Martin, je vous livre un scoop : j’écris actuellement son prochain film, Brain out the dead. Nicolas Cage y jouera un homme qui sillonne New York, mais cette fois à bord d’une ambulance. Cet ambulancier est un peu la version angélique de De Niro dans Taxi driver. Cela dit, il va quand même devenir fou. Il était temps que Martin filme à nouveau les rues de New York la nuit, ce qu’à mon sens il sait le mieux faire… Finalement, tous mes scénarios racontent la même histoire : un homme seul, tourmenté, qui cherche un sens à sa vie. Ma grande influence, de ce point de vue-là, a été Le Conformiste de Bertolucci. Et pour ce qui est de la spiritualité, je vois surtout deux cinéastes « spirituels » aujourd’hui : l’Iranien Abbas Kiarostami et le Russe Alexandre Sokourov, qui viennent de deux pays qui subissent ou ont subi une énorme oppression. Face à une telle répression, l’homme a besoin de rechercher la spiritualité.
Qui sont les cinéastes qui vous ont le plus marqué ?
Les deux grands de ce siècle, ce sont sans doute Renoir et Rossellini. J’ai eu la chance de rencontrer Jean Renoir : il recevait tous les samedis dans sa maison de Los Angeles. Il y avait là Dido, Aldous Huxley, tous les immigrés… Lui, ça ne lui plaisait pas beaucoup que j’écrive un bouquin sur Bresson : à peu près tout ce qu’il détestait. Trop froid, trop austère, trop sec. Une conversation avec Renoir, c’était comme si vous étiez dans une grande pièce sombre. Il commençait par écarter les rideaux d’une fenêtre, puis une autre. A la fin de la conversation, la pièce était pleine de lumière. J’ai également rencontré Rossellini. Ces deux metteurs en scène ont élargi ma vision du monde. Malheureusement, ils n’ont pas de successeurs : les films sont maintenant devenus superficiels, sans profondeur. Cinquante ans sans guerre, sans récession. Résultat : les gens n’ont rien à dire. Un étudiant m’a dit une fois : « Le Vietnam a été une chance pour votre génération. » Sur le coup, ça m’a choqué. Mais maintenant, je pense qu’il avait raison. Désormais, les artistes n’ont rien à dire. Ils font de l’art sur l’art. C’est de la dégénérescence. Tarantino en est le meilleur exemple. Il fait des films sur le cinéma. C’est plaisant, ironique, mais c’est vain. Qui filme la vie des gens d’aujourd’hui ?
Ressentez-vous le même vide en littérature ?
Ce phénomène a eu lieu dans les années 70. John Bart ou Robert Convent, c’était de la littérature sur la littérature. Ça paraît complètement dépassé aujourd’hui. Il y a des raisons d’espérer puisque les meilleurs reviennent à plus de réalisme, écrivent sur la vie des gens. J’ai adoré Freedomland de Richard Price et aussi Sweet hereafter de Russell Banks. C’est une génération qui se remet à raconter des histoires. Le bouquin de Banks est construit en quatre points de vue sur le même drame. Egoyan les a parcellisés davantage et en a tiré le film que vous avez vu. A partir du même livre, j’ai choisi de privilégier une seule famille : c’est mon nouveau film, Affliction, qui sortira à la rentrée. Un drame familial lardé de violence masculine, une lourde relation père-fils.
Prenez-vous le temps d’écouter de la musique ?
Plutôt en fond sonore. J’ai toujours six disques qui tournent dans ma voiture. En ce moment : les Foo Fighters, Andrea Boccelli, des spirituals, Etta James et enfin Bob Dylan, une constante. Sur les six, c’est Dylan qui a le plus de chance de rester.
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