Avec la série Les Années lycée, Arte continue de faire sourire les images télévisées. Cette fois, c’est Manuel Poirier qui s’y colle avec Attention fragile. Soyons justement lapidaires : Tous les garçons et les filles de leur âge et Les Années lycée, les deux séries récemment initiées par Arte, constituent des modèles de télévision intelligente. […]
Avec la série Les Années lycée, Arte continue de faire sourire les images télévisées. Cette fois, c’est Manuel Poirier qui s’y colle avec Attention fragile.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Soyons justement lapidaires : Tous les garçons et les filles de leur âge et Les Années lycée, les deux séries récemment initiées par Arte, constituent des modèles de télévision intelligente. Dans la première collection, Kahn, Mazuy, Téchiné, Assayas, Denis, Ferreira Barbosa ou encore Akerman relevaient joliment les compteurs. Dans la seconde, on croise aujourd’hui Manuel Poirier, cinéaste émérite qui avait déjà réjoui nos mirettes au début de l’année avec …A la campagne, film qui oubliait les tics nationaux ordinaires et butinait, loin des sentiers battus, pour en rapporter des images désespérées mais légères, à moins que ce ne soit l’inverse. Attention fragile ne ressemble pas à grand-chose de connu et surtout pas au film précédent de son auteur. Poirier plante sa caméra en 1986, époque bénie où toute une génération découvrit l’agitation révolutionnaire et les mots d’ordre anarcho-trotskistes. Collectif libertaire qui crucifia pour un septennat l’idéologie chiraquienne et son sbire Devaquet, avant d’aller planter ses choux dans les rudes contrées ardéchoises. Attention fragile ne réserve à la gesticulation anti-Devaquet qu’une portion éminemment congrue. Formidable exercice de frustration opéré sur la nostalgie potentielle du téléspectateur, les manifs et tout le tralala romantique brillent ici d’une discrétion tout ce qu’il y a de remarquable. L’agitation de la rue n’est point remise en scène, mais juste entrevue par les personnages à travers le prisme de la télévision. Comme une fiction, quelque chose qui fut là un peu par hasard. Le cadavre de Malik Oussekine et la violence sont les seuls et douloureux rappels à l’ordre du réel. L’histoire est sibylline, désespérante de pauvreté. Alice et Martin, 17 ans, déboulent de province et pénètrent le lycée Montesquieu à Paris. Là, ils rencontrent une poignée de congénères qui leur ressemblent assez pour qu’un semblant de vie communautaire prenne forme. Les enseignants insultent la mollesse constitutive des élèves, les élèves se contentent de sourire. L’affaire Devaquet explose, les kids descendent dans la rue, s’agitent, puis rentrent dans le rang. Tous ? Oui, tous. Sauf une, qui se flingue… Ce qui dans un film sciemment dégagé de tout pathos ou de toute aspiration pseudo-abstraite au décorticage des destins en marche remue franchement le téléspectateur dans son fauteuil.
Attention fragile se nourrit de discontinuité. Rien que de l’anodin. Là où la crise psychologique menace de se pointer avec ses sabots de plomb, Poirier tranche dans le lard de la scène avec la grâce du bourreau. Résultat, le film fait la gueule. D’ailleurs, dans le contexte du petit écran, l’absence de gros plans est un signe qui ne trompe pas. Ici, c’est l’identification année zéro, l’adieu définitif à l’épanchement sentimental. Film étrange qui ne titille jamais la corde mélancolique, Attention fragile, malgré sa distance et sa relative froideur, enregistre de purs mouvements de vie. Poirier construit son film sur la corde raide : entre observation quasi behavioriste et proximité aux tropismes infinitésimaux. Alice, a priori l’héroïne du film, s’efface ainsi progressivement pour laisser place à l’image quasi irréelle de sa copine Caroline, personnage que l’on ne voit qu’épisodiquement mais qui, peut-être, est celui qui intéresse le plus Poirier. Comme une petite sœur improbable de Benoît Régent dans …A la campagne. Sauf que Caroline, elle, n’est pas parvenue à gérer l’existentielle fêlure qui fait grimacer la litanie des jours. Ce qui se joue entre les deux filles, dans une impeccable suggestion morale et érotique, apporte de la vie secrète et intérieure à ce film désincarné et vaguement autiste (mais sur l’époque flottaient précisément des effluves désincarnés et vaguement autistes). Une vie que Poirier enregistre avec un humour jamais moqueur et une tristesse sans épanchement. A l’image d’un film qui ne jongle ni avec les conventions désarmantes de connerie ni avec les fausses fulgurances des auteurs soi-disant habités. Manuel Poirier, lui, est ailleurs.
{"type":"Banniere-Basse"}