On découvre en France le charme concret d’Asia Argento grâce à New Rose Hotel. Mais la fille du cinéaste Dario est déjà une figure publique à la réputation sulfureuse en Italie, ayant joué dans une douzaine de films depuis ses 9 ans.
Si elle peut marcher tranquillement dans une rue de Paris ou de New York, Asia Argento est une star en Italie. À 14 ans, elle interprétait la fille de Nanni Moretti dans Palombella rossa. Et à 16, son père lui faisait jouer l’adolescente anorexique en proie à des visions morbides de Trauma. Fille de Dario Argento et de l’actrice Daria Nicolodi, Asia fait depuis toujours partie du paysage transalpin. C’est même une figure de Parioli, le Neuilly romain.
Avec son ange féminin tatoué sur le ventre et son œil maçonnique sur l’épaule gauche, Asia est prête à jouer les « bimbos » en couverture du Max italien, comme elle se soumet de bonne grâce à l’interview croisée avec Abel Ferrara dans le relativement plus austère hebdomadaire Espresso. Parfois mal vue à cause de ses déclarations à l’emporte-pièce sur la vie, l’amour, la mort, souvent raillée pour sa voix rauque et son exubérance de petit corbeau guère impressionnable, elle possède cette générosité à la fois roublarde et naïve qui fait que le monde entier est toujours prêt à adorer les belles actrices italiennes. Mais Asia est aussi une enfant de la balle qui connaît les pièges de la célébrité depuis qu’elle a vu son génie de père se faire traîner dans la boue par une certaine critique italienne dite « intelligente ».
A la dernière Mostra de Venise, elle savourait sa revanche de fille prodigue en faisant le boulot de représentation que Ferrara est bien incapable d’assumer. Ouverte et souriante, directe et spontanée, répondant à toutes les questions avec l’aisance charmeuse de celle qui n’a pas besoin de se prendre au sérieux, Asia a fini par rallier tous les suffrages.
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Asia en Italie.
Je déteste l’image que j’ai en Italie, ce sont les autres qui me la renvoient. Je ne me sens pas du tout scandaleuse, rebelle… Tout ça parce que j’ai un tatouage sur le ventre! II a fallu cacher mes tatouages pour Le Fantôme de l’Opéra mais je ne regrette pas du tout de les avoir ! Dans la vie, rien n’est sûr, sauf la mort. Mes tatouages sont au moins une certitude de plus: je les aurai jusqu’à ma mort. Faire une session dans Max Italie, c’était amusant. Pour une fois, j’étais dans un magazine sur papier glacé, c’était une revanche. Quand j’étais petite, les gens me disaient toujours « T’es moche ! » Même mon père me le disait, il ajoutait que je sentais la merde! Il a fallu que je grandisse pour commencer à l’intéresser… J’étais persuadée de ne pas être si moche que ça. La couverture de Max était comme une réponse.
Actrice née.
Je suis actrice depuis l’âge de 9 ans. Petite, je ne voulais pas spécialement faire ce métier, je voulais écrire. Depuis que j’ai commencé, je n’ai plus arrêté. Mais ma vie a été normale. Je me souviens qu’à l’école je me sentais différente, parce que j’avais mes propres devoirs à faire : tourner des films. J’étais une enfant très stressée. Mais aujourd’hui, j’en tire les bénéfices, je suis plus expérimentée et avancée que les gens de mon âge. Mes parents ne m’ont pas poussée. Mon père m’a engagée la première fois quand j’avais 16 ans, j’avais déjà fait sept films. Acteur, ce n’est pas assez souvent créatif. On est paye pour répéter ce que le réalisateur nous dit de faire. C’est ennuyeux à la longue. Les acteurs d’Abel deviennent souvent cinéastes : Vincent Gallo, Matthew Modine… Maintenant, c’est mon tour ! Cinéaste, ça a l’air tellement plus stimulant qu’acteur ! Je suis en train d’écrire mon premier long métrage.
Abel et Dario.
Abel n’aime pas donner de conseils aux acteurs, mais il parle beaucoup. Mon père s’occupe surtout de la caméra, il parle très peu aux acteurs. Abel est un fan de mon père, il a grandi en voyant ses films. Je crois qu’ils sont comparables par leur courage et leur indépendance. Ils sont tous les deux solitaires dans le cinéma de leur pays. J’ai tourné Le fantôme de l’Opéra juste après New Rose Hotel. Chez Abel, je joue une pute, et chez mon père, une vierge. En quelques mois, je suis passée d’un extrême à l’autre. D’un côté, je suis très reconnaissante envers Abel de m’avoir appris à être libre, à ne pas me soucier de la présence de la caméra ou des repères habituels ; de l’autre, je suis reconnaissante envers mon père de m’avoir représentée en vierge, ça allait contre mon image en Italie qui est plutôt sulfureuse et négative. Mon père est le seul à me voir en vierge, je l’en remercie. Les acteurs sont des putes, des mercenaires, ils vont d’un film à l’autre et s’en fichent. Mais parfois dans une vie, on peut se sentir vierge, quand on expérimente un nouveau départ, quelque chose de neuf. Ça peut être douloureux, on saigne beaucoup. ..Mais après, on se sent mieux…
Les films de Ferrara.
Quand j’étais petite, j’ai vu China girl. Mon père avait la cassette. Je n’avais pas l’âge de voir un tel film, ça a été un choc. Des années plus tard, j’ai découvert Miss 45 (L’Ange de la vengeance) un des films qui m’ont donné l’envie de faire ce métier. Je savais que j’allais faire du cinéma et travailler avec Abel. Lui ne savait pas que j’étais obsédée par l’idée de travailler avec lui depuis ce film… Il ne me connaissait pas, il n’avait vu aucun de mes films. Je n’avais pas vu The Blackout, qui n’était pas sorti quand on s’est rencontrés. Mais je connaissais et j’aimais les autres: The Addiction Nos funérailles… Au départ, Virginie Ledoyen devait faire le rôle de Sandii. Je suis heureuse qu’elle ait refusé… Je ne sais pas comment il m’a trouvée. Quelqu’un a dû lui parler de cette « petite actrice italienne pas trop mal ».
La rencontre.
Il m’a appelée directement, sans l’intermédiaire de mon agent, il était 4 h du matin ! Mais j’étais réveillée. Il m’a dit « Viens à New York ! »Je lui dis »D’accord, je peux-être là-bas dans une semaine. » « Non, dans une semaine, on commence à tourner ! Viens maintenant ! » Le lendemain, je prenais mon billet pour New York. A peine arrivée, j’appelle le numéro qu’il m’avait donné, personne. Je me dis « Merde, c’est une plaisanterie ou quoi ?! »J’ai rappelé plus tard, il était là. Je me suis pointée chez lui, nous avons bu du saké, fait connaissance, discuté…Une semaine après, on tournait.
Le personnage de Sandii.
Il m’a fait lire la nouvelle de William Gibson, puis le scénario. Mais le scénario n’a rien à voir avec le film final. J’ai beaucoup improvisé. Abel ne sait pas écrire un personnage féminin et Gibson est un écrivain assez misogyne. Dans le scénario, le personnage était une poufiasse, portant de la lingerie, du cuir, tout ce merdier… Une femme forte n’a pas besoin de tout ça. J’ai essayé d’apporter au personnage de Sandii un peu plus d’épaisseur.
Méthode de travail.
Si on demande quelque chose à Abel, il se met en colère. Il répond « Qu’est-ce que j’en sais ? C’est toi l’actrice, bordel, tu te démerdes ! »Il vous amène à un endroit, mais de façon très subtile, très indirecte, en parlant, parlant, parlant sans cesse. Du tournage, je n’ai pas le souvenir d’une séparation nette entre le plateau et le off; nous discutions sans arrêt, toute la journée, ou plutôt toute la nuit,-sur le plateau et hors plateau, dans un même flux. A force de discuter, j’ai compris ce qu’il voulait et j’y suis allée toute seule. Il impressionne beaucoup de pellicule, la caméra roule jusqu’à épuisement de la bobine. Et Abel parle pendant les prises. Quand j’entendais sa voix, l’improvisais une phrase de dialogue qui le faisait marrer. Chez d’autres réalisateurs, quand un acteur devient fort, le réalisateur peut prendre peur, menacer de vous virer. Ce n’est pas du tout le cas d’Abel. Plus on est fort, plus il apprécie. De temps en temps, il jouait de la guitare en plein tournage, j’adorais ça, et la caméra continuait de tourner. Sur le tournage, j’étais très possessive avec Abel. Je voulais apprendre, profiter de ma chance de travailler avec lui.
Le sens de New Rose Hotel.
Je crois que New Rose Hotel est le premier film interactif. Le spectateur peut choisir, l’interprétation est ouverte. Les critiques italiens m’ont irritée: ils sont déstabilisés par cette ouverture, ils ne comprennent pas. J’ai ma propre lecture de mon personnage, mais Abel ne voulait pas en entendre parler. Il craignait, en prenant connaissance de ma vision, de ne plus être capable de filmer cette histoire. Abel n’aime pas expliquer les choses. Mais c’est comme dans la vie, non’ Pourquoi tombe-t-on amoureux On n’en sait rien. On croit qu’on sait, on se cherche un tas de raisons objectives, de justifications par le discours mais, fondamentalement, on n’en sait rien.
L’idéal d’Asia.
Mon idéal est d’être libre, de trouver ma vérité. La vérité est ce qui s’approche le plus de l’idée de liberté. Je déteste raconter des mensonges, je ne peux dire que des vérités. Avant de venir à Venise, mon père ma déconseillé de dire la vérité, toute la vérité… A Rome, je ne sors jamais. Je reste seule, enfermée chez moi. Je lis, j’écris… Et j’attends. Peut-être la fin du monde.
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